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25 mai 2023

Un cadre d’interprétation inédit des arts autochtones de la Colombie

Récipient en forme de figure debout (détail), Colombie, région Calima, 1500 AEC – 100 EC (tradition Ilama), céramique, engobe, 27,5 x 16,2 x 16,5 cm. Los Angeles County Museum of Art, The Muñoz Kramer Collection, gift of Camilla Chandler Frost and Stephen and Claudia Muñoz-Kramer. Photo © Museum Associates/LACMA

À l’affiche du 3 juin au 1er octobre 2023, L’univers au creux des mains : pensées et splendeurs de la Colombie autochtone est la plus importante exposition d’art de la Colombie à être présentée à l’extérieur de ce pays. Elle accorde une place centrale aux points de vue autochtones et propose au public de nouvelles façons d’appréhender le monde qui nous entoure. Erell Hubert, responsable de la présentation montréalaise, retrace l’historique de ce projet hors du commun et nous donne un avant-goût du parcours original qui caractérise cette exposition.

Erell Hubert

Conservatrice de l’art précolombien

L’univers au creux des mains : pensées et splendeurs de la Colombie autochtone se veut une invitation à entrer en dialogue avec quelque 400 œuvres messagères qui tissent des liens entre les personnes, les lieux et les époques. Fruit de plusieurs années de recherches et de rencontres, cette exposition s’efforce de redonner leur rôle de sujets plutôt que d’objets aux sculptures, récipients ou ornements qui la peuplent. Pour ce faire, elle s’éloigne du discours muséal plus traditionnel sur les arts.

Mamo Camilo Izquierdo se préparant à faire un pagamento [rituel de restitution] au site Piedras Dwanama

Son histoire commence en 2007, alors que le Los Angeles County Museum of Art fait l’acquisition de la collection Muñoz Kramer, composée de plusieurs centaines de céramiques anciennes de Colombie. Les efforts pour mieux la comprendre et la mettre en valeur mènent à un partenariat avec le Museo del Oro de Bogotá et le Museum of Fine Arts de Houston pour la création d’une exposition de grande envergure. Au fil des voyages en Colombie, une relation particulièrement étroite s’établit avec la communauté arhuaco de la Sierra Nevada de Santa Marta, dans le nord du pays. Mamo Camilo Izquierdo, l’un des plus importants chefs spirituels et politiques du peuple arhuaco, demande entre autres comment les œuvres de ses ancêtres sont « nourries ». Cette question, si éloignée des habitudes classificatoires des musées, amorce un changement de perspective qui imprègne l’ensemble du projet1.

Une introduction aux modes de pensée et d’expression de la Colombie autochtone

Pour les Arhuaco, il importe de regarder à l’intérieur de soi avant de parler et d’agir. C’est cette approche qui sous-tend la structure de l’exposition. Ainsi, dans la première salle, une réflexion guidée par mamo Camilo Izquierdo et Jaison Pérez Villafaña, aîné arhuaco assurant la traduction de l’ika vers l’espagnol, nous invite à purifier nos pensées et à prendre conscience de l’interdépendance entre toutes choses. La deuxième salle propose une rencontre intime avec des ocarinas (instruments à vent) dont les voix résonnent grâce à une trame sonore composée par Luis Fernando Franco.

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L’exposition aborde ensuite le contexte historique et géographique dans lequel s’inscrivent les œuvres. Ces dernières ne sont pas considérées comme les vestiges de civilisations disparues, mais bien comme les réalisations des ancêtres des quelque 1,9 million d’Autochtones qui habitent aujourd’hui en Colombie. On distingue plusieurs styles régionaux répartis à travers des paysages contrastés et présentant souvent une remarquable stabilité à travers le temps2. Figures féminines des basses terres des Caraïbes, tunjos (petites figurines votives en métal) de la cordillère orientale ou encore canasteros (porteurs de panier) de la région de Calima se retrouvent cet été au Musée des beaux-arts de Montréal. Ces personnages nous parlent de la manière dont leurs créateurs et créatrices se représentaient et représentaient leur univers.

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Un parcours guidé par la vision du monde des peuples autochtones

Dans les salles suivantes, l’exposition explore certains principes qui jouent un rôle essentiel dans la façon dont les peuples autochtones de Colombie conçoivent le monde. Tout d’abord, la pensée est une force agissante. Elle est à l’origine de la création du monde, et les pensées positives et cohérentes contribuent à maintenir l’équilibre de l’univers. Du nord au sud de la Colombie, d’hier à aujourd’hui, la réflexion se fait principalement en position assise. Les visiteuses et visiteurs sont invités à prendre quelques instants pour communiquer avec des figures de penseuses et penseurs qui mâchent parfois de la coca ou ont les yeux mi-clos.

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Cette incursion dans le monde de la pensée autochtone en Colombie se poursuit à travers les équivalences qui unissent l’univers, la maison et le corps. Ainsi, l’univers est notre maison partagée, alors que notre corps est la maison de notre esprit. Certains peuples d’Amazonie énoncent ces liens de façon encore plus explicite. Par exemple, pour les Makuna, les piliers qui soutiennent le toit de la maloca (maison commune) sont l’équivalent des montagnes qui portent le ciel. Selon le même principe, les œuvres peuvent à la fois être un prolongement du soi et une incarnation du cosmos. En manipulant celles-ci, microcosmes et macrocosmes fusionnent et les humains peuvent exercer une influence sur l’univers. Ce dernier se retrouve alors « au creux de [leurs] mains3 ».

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Nous ne partageons pas seulement la même maison, tous les éléments qui composent l’univers sont des « personnes » avec leur propre point de vue et leur rôle à jouer dans le monde. Comme le souligne Francisco Chimontero Nuibita Dingula : « Ici, tout a une vie : les plantes, les animaux, les montagnes, les rivières, les lagunes et les pierres éprouvent des sensations et parlent, tout comme nous4. » Deux salles sont consacrées aux œuvres qui incarnent ces êtres. Sur le plan scénographique, les œuvres ont été groupées afin qu’elles puissent continuer à se nourrir entre elles – les colibris ont par exemple été placés avec les fleurs. Quant aux projections d’images tournées en Colombie lors de la préparation de l’exposition, elles visent à renforcer la présence vivante et animée des paysages colombiens au sein du Musée.

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Ornement de bâton en forme d’oiseau, Colombie, basses terres des Caraïbes, 200 AEC – 1000 EC (style d’orfèvrerie Zenú ancien), tumbaga (alliage d’or et de cuivre), 4,5 x 2,7 x 10,5 cm. Museo del Oro, Banco de la República, Bogotá. Photo Clark M. Rodríguez – Museo del Oro – Banco de la República

Le rapport de réciprocité que les peuples autochtones entretiennent avec le monde qui les entoure diffère radicalement de l’approche centrée sur l’exploitation des ressources qui domine le monde occidentalisé moderne et qui a été l’un des principaux moteurs de la colonisation des Amériques. Ainsi, les pièces métalliques exposées sont en tumbaga, un alliage d’or et de cuivre dont la valeur réside non pas dans une quelconque valeur marchande, mais dans la combinaison de ces matériaux, associés respectivement à la force fécondatrice du soleil et au pouvoir transformateur de la lune5. Des ornements et des outils de fabrication témoignent aussi des techniques d’orfèvrerie hautement sophistiquées que les ancêtres de peuples autochtones actuels ont développées et qui ont aujourd’hui largement été abandonnées en raison des exactions coloniales.

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La dernière salle thématique conclut le cheminement depuis la pensée créatrice jusqu’à l’importance de prendre soin du monde. Chez de nombreux peuples autochtones, c’est la responsabilité des chefs spirituels qui guident leur communauté. Les spécialistes rituels, souvent appelés chamans dans la littérature anthropologique, ont notamment la capacité de communiquer avec des êtres non humains et même de se transformer pour voir à travers leurs yeux et acquérir leur pouvoir6. Ce processus de transformation s’exprime entre autres dans l’abondance des figures hybrides. Cette capacité de multiplier les points de vue est une source importante de savoir et a grandement inspiré l’exposition.

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Une zone d’exploration qui nous incite à prolonger l’expérience

Le parcours se termine par une zone d’exploration qui ne se trouve que dans la présentation montréalaise. Elle est habitée par une série de linogravures du Consejo ancestral Willka Yaku, qui travaille à la préservation du massif andin colombien, et ses murs sont ponctués de questions et de citations de personnes autochtones et colombiennes d’ici qui amènent les visiteuses et visiteurs à réfléchir à leur place et à leur rôle dans l’univers. Pour les Arhuaco, les œuvres présentées dans l’exposition continuent d’accomplir la « mission de leur culture », notamment en tissant des liens entre les époques, les lieux et les gens. Ils souhaitent donc que, peu importe le niveau de connaissance du public, chacune et chacun puissent entrer en relation avec ces œuvres et les appuyer dans leur mission de maintien de l’équilibre du monde.

1 Diana Magaloni, « Réaliser un rêve ensemble. Conversations avec mamo Camilo et Jaison, frères aînés arhuaco de la Sierra Nevada de Santa Marta », dans Julia Burtenshaw et coll., L’univers aux creux des mains, El Universo en tus manos : pensées et splendeurs de la Colombie autochtone, cat. exp., Los Angeles County Museum of Art; New York, DelMonico Books, 2022, p. 61-75.

2 Julia Burtenshaw, « Les sociétés de la Colombie ancienne. Une brève (re)considération », dans Julia Burtenshaw et coll., ibid., p. 91-107.

3 Luis Cayón, « Des objets pour diriger l’univers. La fusion des échelles et le pouvoir de la matérialité chez les Tukano orientaux », dans Julia Burtenshaw et coll., ibid., p. 276-287.

4 Francisco Chimontero Nuibita Dingula, « Les oiseaux de la Sierra Nevada de Santa Marta et leur rôle dans la culture kággaba », dans Julia Burtenshaw et coll., ibid., p. 59.

5 Ana María Falchetti, « Le pouvoir symbolique de la métallurgie ancienne », dans Julia Burtenshaw et coll., ibid., p. 255-267.

6 Eduardo Viveiros de Castro, « Exchanging Perspectives: The Transformation of Objects into Subjects in Amerindian Ontologies », Common Knowledge, vol. 25, no 1, avril 2019, p. 21-42.

Pour en savoir plus sur la genèse de l’exposition, regardez la série documentaire Unpacking the Universe: The Making of an Exhibition (en anglais seulement), produite par le Los Angeles County Museum of Art. En plus de montrer des sites archéologiques et des paysages à couper le souffle, elle présente notamment des entretiens avec mamo Camilo Izquierdo et Jaison Pérez Villafaña sur la vision du monde des Arhuaco au regard des enjeux sociaux et environnementaux contemporains.

L’univers au creux des mains : pensées et splendeurs de la Colombie autochtone
3 juin – 1er octobre 2023

Crédits et commissariat
Une exposition organisée par le Los Angeles County Museum of Art, le Museum of Fine Arts, Houston, ainsi que le Museo del Oro et l’Unidad de Artes y Otras Colecciones de la Banco de la República, Colombie, en collaboration avec le Musée des beaux-arts de Montréal. Sa présentation a été rendue possible en partie grâce à une importante subvention de la National Endowment for the Humanities: Democracy demands wisdom. Les conclusions, recommandations et points de vue formulés dans cette exposition ne reflètent pas nécessairement l’opinion de la National Endowment for the Humanities.

Le commissariat est assuré par Diana Magaloni, directrice adjointe, directrice et conservatrice Dr. Virginia Fields – Art of the Ancient Americas, directrice de la conservation, LACMA; Julia Burtenshaw, conservatrice associée – Art of the Ancient Americas, LACMA; María Alicia Uribe Villegas, directrice, Museo del Oro, Banco de la República, Colombie; et Rex Koontz, conservateur consultant, Museum of Fine Arts, Houston. Erell Hubert, conservatrice de l’art précolombien, MBAM, est responsable de la présentation montréalaise.

Le Musée souligne la collaboration de l’Ambassade de Colombie au Canada et souhaite remercier les mécènes de l’exposition, la Fondation Famille Le Blanc et Claude Dalphond. Il reconnaît l’apport essentiel de son commanditaire officiel, Peinture Denalt, et de ses partenaires médias, Bell, La Presse et Montreal Gazette.

L’exposition L’univers au creux des mains : pensées et splendeurs de la Colombie autochtone a été réalisée en partie grâce au soutien financier du Conseil des arts de Montréal et du gouvernement du Québec. Les grandes expositions du Musée bénéficient de l’appui financier du fonds Paul G. Desmarais et de celui des donatrices et donateurs des Cercles philanthropiques de la Fondation du MBAM.

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