C’est Dante, le poète florentin de la Renaissance, observant les personnages de l’Enfer de sa Divine Comédie, que Rodin choisit de représenter au centre du tympan de sa monumentale Porte de l’Enfer. Finalement isolée comme une œuvre indépendante, initialement désignée sous le titre Le poète, la sculpture devint Le penseur. Rodin la produit en plusieurs exemplaires et dans différentes tailles. L’artiste s’explique : « Devant cette Porte, assis sur un rocher, Dante absorbé dans sa profonde méditation concevait le plan de son poème... Guidé par ma première inspiration, je conçus un autre "Penseur", un homme nu, accroupi sur un roc, où ses pieds se crispent. Les poings aux dents, il songe. La pensée féconde s’élabore lentement de son cerveau. Ce n’est point un rêveur, c’est un créateur. » La puissante musculature s’inspire de l’antique Torse du Belvédère, tandis que la tension intérieure évoque Michel-Ange.
Cet exemplaire a été acheté directement à l’artiste en 1909 lors de sa présentation à l’Art Association of Montreal (auj. Musée des beaux-arts de Montréal). La fonte a été réalisée par la maison Rudier et la patine confiée au spécialiste Jean Limet, dont Rodin appréciait le travail particulièrement vif et le sens aigu de la couleur. Coulures, abrasions et variations chromatiques – on perçoit du vert, des bruns, mais aussi du bleu de Prusse – donnent vie et chaleur à un matériau initialement monochrome. Cette conception audacieuse de la patine, que l’on retrouve chez un artiste comme Carriès, emprunte à l’esthétique japoniste. Elle confère un rôle nouveau à l’accident et à l’aléatoire des procédés techniques et chimiques dans le rendu des formes et des textures.