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13 février 2023

Brève histoire du quatuor à cordes

Quatuor Capitano : Alexander Read (violon), Marc Djokic (violon), Marina Thibeault (alto) et Julia MacLaine (violoncelle). Salle Bourgie, le 28 février 2017

Entre février et avril 2023, la Salle Bourgie présentera plusieurs concerts qui donneront à entendre des quatuors à cordes d’exception. À cette occasion, Claudine Jacques propose un bref survol de l’histoire de cette formation instrumentale, de ses origines il y a 275 ans jusqu’à aujourd’hui.

Claudine Jacques

Musicologue et responsable des relations de presse Salle Bourgie
Définitions et origines

Qu’est-ce qu’un quatuor à cordes? Le terme désigne un ensemble comprenant quatre instruments à cordes, soit deux violons, un alto et un violoncelle. Il s’agit d’une formation majeure de la musique de chambre, c’est-à-dire des œuvres composées pour un groupe restreint de musiciens qui sont seuls à interpréter leur partie musicale (contrairement à une symphonie, par exemple, où plusieurs instrumentistes jouent ensemble les mêmes notes).

L’idée de réunir quatre instrumentistes à cordes naît en Italie et en France dans la seconde moitié du XVIIe siècle. Soulignons la contribution d’Alessandro Scarlatti et de Giovanni Battista Sammartini à son émergence. Mais c’est au siècle suivant, en Autriche et dans le sud de l’Allemagne, que le genre prend véritablement son essor et acquiert sa forme actuelle. De tout temps, les compositeurs ont été fascinés par cette forme particulière, que Goethe décrit comme une « conversation entre quatre personnes civilisées », reflétant ainsi les idéaux plus égalitaires de la société européenne du XVIIIe siècle. D’ailleurs, le principe d’égalité prime dans le quatuor à cordes : aucun instrument ne prend le pas sur les autres, du moins en théorie. Et si certains compositeurs ont été très prolifiques (Haydn, Mozart, Beethoven ou Chostakovitch, notamment, qui ont tous fourni plusieurs exemples du genre), d’autres, comme Franck, Debussy ou Ravel, n’ont légué à la postérité qu’un seul quatuor.

Un quatuor à cordes autrichien du XVIIIe siècle, XIXe siècle, lithographie. Photo The Granger Collection

Le style classique : Haydn et Mozart

Dès les années 1760, Haydn fixe les règles de composition – une structure claire en quatre mouvements et une texture équilibrée entre les quatre instrumentistes – qui conditionneront largement l’évolution du genre jusqu’à aujourd’hui. Fortement associé au style classique, ce genre que l’on dit « noble » connaît son apogée entre 1780 et 1820. C’est d’ailleurs à cette époque que le terme « quatuor » devient plus couramment utilisé en référence aux œuvres écrites pour cette formation instrumentale, auparavant nommées « divertimenti ». Sur une période de 40 ans, Haydn composera 68 quatuors qui sont tous exceptionnels par leur inventivité, leur style musical diversifié et leur variété formelle; notamment le très célèbre « Empereur » (op. 76, no 3) et « Les quintes » (op. 76, no 2). Surnommé « le père du quatuor », ce dernier influencera profondément son cadet Mozart qui lui dédiera, en 1785, ses six quatuors op. 10. Mozart composera au total 23 quatuors entre 1770 et 1790. On retrouve parmi ceux-ci de véritables chefs-d’œuvre, tels que les quatuors « La chasse » (op. 10, no 3) et « Les dissonances » (op. 10, no 6).

Beethoven : une classe à part

Au début du XIXe siècle, Beethoven bouscule les conventions du genre, à peine établies quelques décennies plus tôt par Haydn et Mozart. Ses 16 quatuors, composés entre 1798 et 1826 et répartis tout au long de sa période créatrice, sont totalement hors-norme. Si les six quatuors de l’op. 18, datant de 1801, prennent pour modèles ceux de Haydn et s’inscrivent dans la continuité, ceux qui suivent à peine quelques années plus tard (op. 59 « Razoumovsky » de 1806, ou encore op. 74 « Les harpes » de 1809) tournent définitivement le dos au classicisme. Les derniers quatuors portent l’expérimentation à l’extrême : le mouvement de quatuor Grosse Fuge, op. 133 (1824-1825) rend ses contemporains perplexes par ses dimensions hors du commun et la virtuosité inhabituelle exigée des musiciens. Ces œuvres constituent l’apogée du genre tout en effectuant le passage de l’époque classique à l’époque romantique. Les derniers quatuors s’éloignent de la forme en quatre mouvements fixée précédemment par Haydn : ils comprennent parfois cinq, six ou même sept mouvements enchaînés (op. 131).

Quartet Party at the Musical Union, illustration de l’Illustrated London News, 27 juin 1846, où l’on voit un quatuor à cordes jouant le quatuor no 82 de Haydn devant le public de la Musical Union, à Londres

L’époque romantique

Quel avenir pour le quatuor à cordes après Beethoven? L’ombre du grand compositeur allemand plane un certain temps sur Schubert, Schumann et Brahms. « Que peut-on encore écrire après cela? », s’est d’ailleurs exclamé Schubert en écoutant le quatuor op. 131 de Beethoven cinq jours avant sa mort. Peut-être est-ce pour cette raison que les quatuors composés après Beethoven prennent leurs distances vis-à-vis de leurs illustres prédécesseurs. Le genre continue néanmoins de fasciner les musiciens romantiques, pour qui il demeure synonyme d’effort, de concentration et de rigueur. Si la quantité des œuvres diminue à cette époque, des musiciens tels que Schubert, Schumann, les Mendelssohn (Félix et Fanny), Brahms et Tchaïkovski lèguent tout de même à la postérité des exemples de grande qualité. Force est toutefois de constater que les innovations sont alors moins abondantes et moins spectaculaires. Le quatuor redevient en effet plus « sage » sur les plans formel et harmonique, adoptant fréquemment une structure plus traditionnelle, en quatre mouvements. Évolution notable, cependant : après Brahms, les œuvres sont principalement écrites pour des ensembles professionnels, lesquels se multiplient rapidement dès les années 1870. C’est en outre à cette période que les compositeurs osent enfin se mesurer à l’héritage de Beethoven. Quelques décennies plus tard, à la toute fin du XIXe siècle en France, Debussy fournira un brillant exemple du genre.

Le quatuor au XXe siècle

Pour les compositeurs du XXe siècle, tels qu’Arnold Schönberg, Alban Berg, Anton Webern, Maurice Ravel, Gabriel Fauré et Béla Bartók, le quatuor redevient synonyme d’expérimentation, cent ans après les avancées remarquables de Beethoven. Le genre, désormais étendu hors de France, d’Autriche et d’Allemagne, inspire des compositeurs hongrois, russes, polonais, norvégiens, finlandais, anglais, américains... Si la plupart des compositeurs de cette époque s’en tiennent à une production de quatuors à cordes relativement modeste, Dmitri Chostakovitch, pour sa part, en composera 15. Tous de grande qualité, ils contribuent fortement au renouvellement du genre. Dans la seconde moitié du XXe siècle, György Ligeti, Elliott Carter et John Cage proposent des œuvres stupéfiantes de modernité, souvent déroutantes. La période après 1975 voit poindre un regain d’intérêt pour le quatuor : Henryk Górecki en composera trois entre 1988 et 1995. Des ensembles professionnels, tels que le Quatuor Arditti ou le Kronos Quartet, iront même jusqu’à se spécialiser dans l’interprétation d’œuvres contemporaines pour ce type d’ensembles musicaux.

Le quatuor n’a ainsi jamais cessé de fasciner les compositeurs, qui y voient peut-être un défi intéressant à relever, où modernité et tradition se côtoient sans heurt et à divers degrés selon les époques.

Vous souhaitez assister à un concert de quatuor à cordes? Voici les prochaines dates à la Salle Bourgie :

  • Cuarteto Casals (19 février 2023)
    Programme : extraits de l’Art de la fugue de J. S. Bach, adaptés pour quatuor à cordes, Reflections on the theme B-A-C-H de Sofia Goubaïdoulina et quatuor à cordes op. 51, no 2 de Brahms
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  • Quatuor Chiaroscuro (29 mars 2023)
    Programme : quatuors à cordes de Schubert, de Beethoven et de Mendelssohn
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  • Quatuor Modigliani (12 avril 2023)
    Programme : quatuor à cordes no 7, K. 160 de Mozart et quatuor à cordes no 14, D. 810 « La jeune fille et la mort » de Schubert, ainsi qu’une œuvre de Mark-Anthony Turnage
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