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23 juin 2022

Christopher Dresser, premier designer industriel de la modernité

Manufacture de Minton (fondée en 1793), dessin de Christopher Dresser (1834-1904), vase, 1880, porcelaine, décor émaillé, doré et peint, 26,5 x 21 x 11 cm. MBAM, don de l’honorable Serge Joyal, C.P., O.C., O.Q. Photo MBAM, Jean-François Brière

Grâce à un don généreux de l’honorable Serge Joyal, le Musée a l’immense plaisir d’annoncer l’entrée dans sa collection d’un vase Minton conçu par Christopher Dresser. Avec sa riche ornementation en émail pseudocloisonné et ses motifs aux couleurs vives, ce splendide vase à panse aplatie de type « moon flask » est l’exemple par excellence de la collaboration fructueuse entre Dresser et la manufacture de Minton.

Jennifer Laurent. Photo Jean-François Brière

Jennifer Laurent

Conservatrice des arts décoratifs modernes et contemporains

Située à Stoke-on-Trent, la manufacture de Minton a su s’attacher le talent des plus grands artistes et stylistes du XIXe siècle, dont A.W.N. Pugin, Henry Cole, Walter Crane et John Moyr Smith. Des figures éminentes de la royauté comme le prince Albert et le duc de Wellington ont confié des commandes à cette fabrique qui fut la plus importante de la période victorienne, lauréate des prix les plus prestigieux lors des grandes expositions internationales. L’association de Christopher Dresser avec Minton a duré des années 1860 aux années 1880, et la combinaison de ses motifs impressionnants avec le savoir-faire inégalé des céramistes de la manufacture allait donner naissance à certaines des créations les plus remarquables de l’époque.

Image publicitaire pour la manufacture de porcelaine Mintons de Stoke-upon-Trent montrant un jeune homme en train de peindre un vase, entouré d’autres récipients dont un vase à panse aplatie de type moon flask, 1855-1870. Gravure sur bois imprimée sur papier fin à épreuve, 8 x 12 cm, 1912,0930.44. © The Trustees of the British Museum

Designer extrêmement prolifique, botaniste de formation, Dresser s’intéressait en particulier à l’art botanique, qui applique l’étude de la morphologie des plantes aux motifs ornementaux. Il enseignait à la School of Design de Londres, et on lui doit dans ce contexte une illustration montrant le détail de l’organisation géométrique des fleurs pour l’ouvrage séminal d’Owen Jones, The Grammar of Ornament (Grammaire de l’ornement), de même qu’une série d’articles pour The Art Journal sur la botanique adaptée à l’art et à la fabrication artistique d’objets1.

Quand il publie son influent The Art of Decorative Design en 1862, Dresser est déjà un designer réputé qui crée des motifs pour les grandes manufactures britanniques de papier peint, de textiles, de tapis, de verre, de céramique et de ferronnerie. La fascination pour la botanique qui influence ses théories et sa pratique professionnelle est l’affaire de toute une vie. Dresser expose ses théories sur le design dans plusieurs publications, notamment dans l’ouvrage Principles of Decorative Design (1873), et son approche radicalement fonctionnaliste le distingue de ses pairs. Dans sa vision, le principe du design est de concevoir des objets qui sont utiles, esthétiquement plaisants et accessibles au plus grand nombre. S’adressant essentiellement dans son travail au secteur florissant de la fabrication industrielle, il adhère aux technologies de pointe et à la production de masse. Il accorde ainsi une grande importance au rôle de la machine dans l’élévation des standards de beauté et de style des produits destinés à la classe moyenne alors en expansion.

Crédit
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Plus que tout autre écrivain ou théoricien, c’est Owen Jones qui a influencé l’évolution esthétique de Dresser. De fait, le motif de volute en lotus appliqué sur le vase du Musée est une référence incontestable à la planche XXXIII de la collection de motifs cloisonnés publiée par Jones dans son ouvrage de 1867 Examples of Chinese Ornament. Le cloisonné est une technique d’ornementation ancienne par laquelle on façonne des motifs complexes avec des fils de cuivre ou de bronze avant de les remplir d’une substance colorée, comme de la pâte de verre ou de l’émail. Observée sur des objets de l’Antiquité classique et de l’art chrétien médiéval, de l’art islamique du Moyen-Orient, et de l’art byzantin de l’Empire romain d’Orient, la technique du cloisonné apparaît également dans l’art de la Chine pendant la dynastie des Ming (1368-1644). C’est de cette période et de ce style que s’est inspiré Dresser pour notre acquisition. L’expression « pseudo-cloisonné » s’emploie pour désigner les pièces qui, comme ce vase, imitent l’esthétique du cloisonné sur la céramique au moyen d’émaux colorés et dorés.

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La vaste production de Dresser, par sa seule diversité, explique que l’on ait encore du mal à l’associer à une technique particulière ou à un style unique. En outre, beaucoup de ses motifs nous demeurent inconnus aujourd’hui parce que la tendance des fabricants du XIXe siècle était de taire l’identité de leurs stylistes. Quoi qu’il en soit, grâce au progrès des connaissances depuis vingt ans, sa réputation de designer en avance sur son temps est bien établie et sa cote est en hausse auprès des spécialistes, des institutions et des collectionneurs qui apprécient l’originalité et l’audace de ses créations en regard de celles de ses contemporains.


1 Cette réflexion en onze parties est parue dans The Art Journal en 1857-1858 sous le titre « Botany as Adapted to the Arts and Art-Manufactures ». 

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