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4 octobre 2022

Un regard novateur sur la carrière artistique et musicale de Basquiat

Jean-Michel Basquiat (1960-1988), King Zulu, 1986, acrylique, cire, crayon-feutre sur toile, 202,5 x 255 cm. Barcelone, collection MACBA, prêt à long terme du gouvernement de la Catalogne (ancienne collection Salvatore Riera). © Estate of Jean-Michel Basquiat. Licensed by Artestar, New York

Présentée en collaboration avec le Musée de la musique – Philharmonie de Paris, la grande exposition de cet automne est la première consacrée au rôle de la musique dans l’art de Jean-Michel Basquiat (1960-1988), l’un des artistes les plus fascinants et novateurs du XXe siècle. À plein volume : Basquiat et la musique ouvre ses portes au MBAM le 15 octobre. Elle réunit peintures, installations, musique et films, et s’accompagne d’une application de réalité augmentée qui permet d’accéder à des contenus multimédias enrichis.

Mary Dailey Desmarais. Photo Stéphanie Badini

Mary-Dailey Desmarais

Conservatrice en chef

Emmanuelle Christen

Chef de la production éditoriale et du développement des contenus

Né à Brooklyn d’un père haïtien et d’une mère portoricaine, Basquiat a grandi à une époque de grande effervescence créatrice sur la scène musicale de New York. Au cours de sa vie, il a rassemblé une impressionnante collection hétéroclite de plus de 3 000 albums, du classique au rock, en passant par le zydeco, le soul, la new wave, le hip-hop et, bien sûr, le jazz. Cependant, la musique n’a pas uniquement composé la trame sonore de sa vie et de son art.

En commençant par une exploration de la musique qui a façonné le New York de Basquiat dans les années 1970 et 1980, cette exposition jette une lumière nouvelle sur sa pratique en tant que musicien, artiste et producteur de musique. Elle explore ses techniques de composition en relation avec la musique et retrace ses références musicales, qui incluent des noms de maisons de disques et des titres d’albums, mais aussi des artistes, des instruments, des cultures et des sons. La façon dont Basquiat déploie la musique dans ses œuvres témoigne éloquemment de son intérêt pour le legs de la diaspora africaine et les politiques de la race aux États-Unis, une dimension qui est aussi au cœur de cette histoire. La musique émanant de son œuvre célèbre la créativité artistique noire et aborde la complexité et la cruauté du passé, tout en donnant vie aux sons qui ont inspiré Basquiat et à l’esprit de son temps.

Image du tableau Anybody Speaking Words de Jean-Michel Basquiat
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New York / New Waves

La première partie de l’exposition, consacrée aux divers aspects de la participation active de Basquiat à la scène musicale new-yorkaise des années 1970 et 1980, entend immerger le public dans la culture de l’époque. Elle réunit des tableaux, des dessins, des carnets de notes, des affiches et des photographies de Basquiat en rapport avec la musique et les musiciens de New York, et présente des documents contextuels sur les lieux qu’il a fréquentés et les musiques qu’il y a entendues.

Marqué par la liberté radicale du punk, l’exemple d’Andy Warhol et le rejet de l’abstraction, du minimalisme et du conformisme social, le groupe de jeunes avant-gardistes underground auquel appartient l’artiste explore cinéma, poésie, photographie, peinture, performance et musique. Les boîtes de nuit et les lofts de Downtown servent de repaires à une génération qui cherche à repenser ses pratiques et à ramener l’art à la vie, et qui trouve dans ces murs des espaces de socialisation, d’expérimentation et d’exposition. Émergeant dans une ville au bord de la faillite, les œuvres de Basquiat empruntent une partie de leurs supports à des objets de récupération et relèvent d’une forme expressive, spontanée et crue, qui n’est pas étrangère à la manière dont, souvent autodidactes, les musiciens utilisent et détournent leurs instruments.

Le groupe Gray à la boîte de nuit Hurrah, 1979, photographie noir et blanc. Photo Nicholas Taylor. © Nicholas Taylor

Cette première section de l’exposition attire également l’attention sur le Basquiat artiste de la performance et, entre autres, sur sa participation au groupe Gray, dont il était pour ainsi dire le leader. Pour reprendre les mots de Glenn O’Brien, critique culturel et créateur de TV Party, une émission diffusée à la télévision publique dans laquelle Basquiat a fait de nombreuses apparitions, celui-ci « était un performeur. Tout ce qu’il faisait, il le faisait pour le public. Le grand public. Pas seulement pour les personnes qui se trouvaient dans la salle, mais aussi pour celles qui étaient dans le coup, celles qui appartenaient au réseau, au monde, à l’avenir ».

Basquiat et le hip-hop

Sensible au hip-hop tant sur le plan visuel que musical, Basquiat entretient dès le début des années 1980 des liens avec plusieurs acteurs majeurs de cette révolution culturelle. En 1981, il participe, sous le nom de SAMO©, à Beyond Words, l’une des premières expositions consacrées au mouvement, présentée dans le quartier Downtown par Fab 5 Freddy et Futura 2000 au Mudd Club. À partir de fin 1982, il fréquente les soirées organisées par Michael Holman au Negril et par Ruza Blue au Roxy, qui sont animées par Afrika Bambaataa et les DJ de la Zulu Nation venus du Bronx. Proche de certains artistes tels que Toxic, A-One ou ERO – dont il réalise de spectaculaires portraits –, Basquiat contribue à promouvoir le concept de l’« Ikonoklast Panzerism », théorie afrofuturiste développée par Rammellzee pour qualifier son propre art.

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Basquiat s’échappe du réseau traditionnel des galeries pour exposer en 1983 à la Fun Gallery, espace alternatif ouvert par l’actrice Patti Astor afin de mettre en valeur cette nouvelle génération de créateurs d’art urbain. La même année, produit et réalisé par ses soins, le simple « Beat Bop », qui met en scène la joute verbale entre Rammellzee et K-Rob, est l’occasion pour Basquiat d’une nouvelle expérimentation musicale, synthèse entre le son de la no wave, le funk, le dub et la puissance expressive du rap. Si elle l’amène à mêler sa couronne emblématique aux marques de tagueurs et, parfois, à l’apposer à même l’espace urbain, l’influence du hip-hop dans l’art de Basquiat se traduit principalement dans ses toiles par sa manière d’envisager la photocopie – dupliquée, découpée, répétée – comme échantillonnage visuel, et dans un rapport à l’échantillonnage des mots et des motifs qui participe à la force compositionnelle de nombre de ses œuvres.

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Le son en vue : entendre l’image, voir le bruit

Cette section de l’exposition invite à découvrir comment Basquiat rendait les sons visibles par une multitude de moyens : mots, symboles, signes, couleurs, images… Les œuvres présentées sont liées à divers genres musicaux, dont l’opéra, la musique classique et les chansons thèmes d’émissions télévisées. Elles témoignent également du vif intérêt de Basquiat pour les technologies du son : pylônes radio, antennes, mais aussi sirènes, synthétiseurs et tourne-disques. Son œuvre est chargée de sons, et les mots en font partie. Son utilisation de l’onomatopée était inspirée d’écrivains de la beat generation comme William S. Burroughs, qui était son « auteur vivant préféré ». Comme Burroughs, Basquiat a su réduire l’espace entre le visuel et le textuel, donnant ainsi lieu à une logique associative aléatoire ancrée dans une pensée originale et une résistance aux conventions sociales. Le paysage sonore de cette salle est composé de certains des sons qui animaient sa pratique.

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Neuf des carnets de Basquiat sont également présentés ici. Bon nombre d’entre eux ont été légués à ses amis, comme les musiciens Michael Holman et Arto Lindsay. C’est dans ses carnets que la poésie de Basquiat, sa compréhension de la sonorité et de la forme du langage, et son attention à la musicalité des mots se dévoilent de la façon la plus intime. Les pages se lisent le plus souvent tels des psaumes, des poèmes ou des chansons. Ces carnets éclairent en outre son sens intuitif de l’espace. Basquiat se sert de la page blanche pour marquer des pauses – ou soupirs – et coupe les lignes et les mots de façon à aligner les lettres, créant par la répétition un rythme tant visuel qu’auditif. Ailleurs, des signes graphiques animent les carnets et donnent raison à Basquiat, pour qui la rature des mots incite la personne les lisant à redoubler d’attention. Dans certaines pages, des annotations schématiques, des flèches ainsi que des traits horizontaux font le plan de pièces musicales, rappelant les partitions du compositeur expérimental John Cage, que Basquiat admirait. Certaines pages contiennent également des noms de musiciens et de poètes, notamment ceux de Miles Davis et de William S. Burroughs.

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Jazz

De toutes les musiques auxquelles Basquiat se réfère dans sa pratique artistique, le jazz est sans conteste la plus importante. Considéré comme une contribution afro-américaine majeure au domaine des arts, le jazz se présente à Basquiat comme un continuum de réussite et d’excellence peu reconnu dans la culture visuelle. Célébrant le génie créatif des musiciens, avec l’ambition de dire une partie de leur histoire en remontant jusqu’au berceau du genre à La Nouvelle-Orléans, Basquiat élabore des œuvres transhistoriques qui, loin d’être de simples hagiographies, inscrivent le jazz dans une histoire diasporique plus vaste et soulignent les inégalités et le racisme subis par ses artistes inféodés aux règles de l’industrie phonographique.

Particulièrement sensible au be-bop, avant-garde du jazz qui a élargi et complexifié les principes de l’improvisation dans les années 1940, il se montre hanté par la destinée de l’un des pères fondateurs de ce courant, Charlie Parker, figure du double et du génie foudroyé auquel il consacre plusieurs toiles et à qui il fait des allusions disséminées dans de nombreuses autres.

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Admirateur de la capacité d’invention des musiciens, conscient des enjeux esthétiques propres au genre – notamment l’improvisation sophistiquée comme forme de composition spontanée –, Basquiat s’inspire du jazz en composant ses œuvres, les structurant souvent à l’aide de photocopies par des séquences organisées et syncopées à la manière des « grilles » harmoniques sur lesquelles les artistes de jazz échafaudent leurs solos. Ce sont ces photocopies qui lui permettent aussi de mettre ses œuvres en dialogue, tout comme le font les musiciens en improvisant sur des standards.

Jean-Michel Basquiat (1960-1988), Kokosolo, 1983, acrylique, bâton à l’huile et collage de photocopies sur toile, 110 x 210 cm. New York, collection Rechulski. © Estate of Jean-Michel Basquiat. Licensed by Artestar, New York

Basquiat et la musique de l’Atlantique noir

En 1986, Basquiat voyage en Afrique et en rapporte divers instruments. Très tôt, comme le révèle son art, il s’intéresse aux liens entre les musiques africaines et afro-américaines. La musique est pour lui un moyen de dialoguer avec les héritages diasporiques de la traite transatlantique d’esclaves, comme en témoignent les œuvres exposées dans cette salle. Qu’elles renvoient à la musique créole de la Louisiane ou associent le jazz aux ventes aux enchères d’esclaves, ces œuvres de Basquiat révèlent son exploration de formes culturelles qui sont nées de la migration forcée des peuples africains vers l’Europe, les Caraïbes et les Amériques; autrement dit, de la culture de l’Atlantique noir.

Parmi les sources d’inspiration dans lesquelles puise Basquiat figure le livre Flash of the Spirit (1983) de Robert Farris Thompson, qui traite de la persistance des cultures et des traditions africaines aux États-Unis, et du rôle prépondérant de la musique dans la transmigration des formes culturelles. Basquiat dira de Thompson qu’il est son historien de l’art favori. Il lui commandera d’ailleurs un texte pour le catalogue de sa deuxième exposition individuelle à la Mary Boone Gallery en 1985, qui comprend plusieurs de ses peintures représentant des griots, ces musiciens-conteurs d’Afrique du Nord et d’Afrique de l’Ouest. Thompson décrit Basquiat comme un « afro-atlantiste extraordinaire » qui « colore l’énergie de l’art moderne (lui-même redevable à l’Afrique) de ses propres transmutations de l’impression et de la figuration noires subsahariennes et créoles. Il chante l’impression. Il chante le corps. Il les chante dans de splendides répétitions ». Les œuvres exposées ici éclairent « l’art incantatoire » de Basquiat.

Eroica : héroïsme, musique et mémoire

Cette dernière salle est consacrée à Eroica I et à Eroica II, des peintures réalisées et exposées à New York en 1988, l’année de la mort de Basquiat. Réunies, elles offrent une sorte de coda à la musicalité de son art et, d’une certaine façon, à sa vie. Musicales à la fois au sens littéral et métaphorique, elles évoquent les triomphes et les possibles tragédies de l’héroïsme.

Jean-Michel Basquiat (1960-1988), Eroica I et Eroica II, 1988, acrylique, bâton à l’huile et mine de plomb sur papier marouflé sur toile, 230 x 225,5 cm. Collection Nicola Erni. © Estate of Jean-Michel Basquiat. Licensed by Artestar, New York. Photo Reto Pedrini

Eroica (« héroïque » en italien) est le titre de la symphonie no 3 de Beethoven, qui l’avait à l’origine dédiée à Napoléon. Le jour où le compositeur a appris que ce dernier s’était proclamé empereur des Français, en 1804, il a rageusement déchiré la page de titre, rayé le nom de Napoléon et renommé sa composition Eroica. Réalisés au départ sur une seule feuille de papier que Basquiat a déchirée en deux pour faire son diptyque, les deux tableaux portent les traces de cette histoire – et Beethoven n’en est qu’une partie.

Les mots et les phrases dans ces peintures montrent comment Basquiat utilise le rythme, les rimes et la langue pour établir des analogies sonores et visuelles qui créent de nouveaux sens. Il cite un dictionnaire d’anglais vernaculaire afro-américain, plus précisément la section de la lettre B, qui lui permet de toucher plusieurs cordes sensibles à la fois, en abordant différents thèmes comme l’identité noire et la diaspora, mais aussi la musique, la drogue et le désir. Pour Basquiat, le sens n’est pas créé de manière linéaire; il résonne dans une multitude de champs de signification, d’association et d’interprétation.

Accompagnées d’une expérience immersive axée sur la musique qui a inspiré Basquiat ou qui s’est inspirée de lui, ces œuvres nous amènent à réfléchir au prix de la célébrité pour l’artiste et à reconnaître l’héroïsme dans son incarnation du génie artistique noir, ainsi que la place qu’y tient la musique. Tout comme son art et la musique qui l’anime, Basquiat fait encore grand bruit aujourd’hui.

À plein volume : Basquiat et la musique
15 octobre 2022 – 19 février 2023
Pavillon Jean-Noël Desmarais – niveau 3

Crédits et commissariat
Une exposition organisée par le Musée des beaux-arts de Montréal et le Musée de la musique – Philharmonie de Paris. Le commissariat est assuré par Mary-Dailey Desmarais, conservatrice en chef du MBAM, Dieter Buchhart, commissaire invité, et Vincent Bessières, commissaire invité par le Musée de la musique – Philharmonie de Paris.

Sa présentation a été rendue possible grâce à l’importante contribution d’Hydro-Québec, et elle a été réalisée en partie grâce au soutien financier du gouvernement du Québec et du gouvernement du Canada. Le MBAM remercie RBC, grand partenaire, et souligne la collaboration de ses partenaires Hatch, Holt Renfrew Ogilvy, et Stingray. L’exposition bénéficie de l’appui de Tourisme Montréal et du Cercle des Anges du MBAM, qui soutient fièrement le programme des grandes expositions du Musée. Le MBAM reconnaît l’apport essentiel de son commanditaire officiel, Peinture Denalt, et de ses partenaires médias, Bell, La Presse et Montreal Gazette.

Il exprime sa profonde gratitude au Conseil des arts du Canada et au Conseil des arts de Montréal pour leur soutien constant. Le programme d’expositions internationales du Musée bénéficie de l’appui financier du fonds d’expositions de la Fondation du MBAM et du fonds Paul G. Desmarais.

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