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30 septembre 2022

Incursion dans l’univers lumineux de Jean-Paul Mousseau

Jean-Paul Mousseau (1927-1991), quatre vues de l’œuvre Sans titre, de la série « Dolmen », 1961, résine de polyester, fibre de verre, résille métallique, acier peint, néon. MBAM, don de Katerine Mousseau. © Succession Jean-Paul Mousseau / SOCAN (2022)

Parmi les nombreuses œuvres qui ont été récemment examinées et traitées par le Service de la restauration du Musée se trouve une étonnante sculpture lumineuse de Jean-Paul Mousseau : un luminaire au néon de deux mètres de haut chapeauté par une structure de résine pigmentée. Antonia Mappin-Kasirer, qui a activement participé à sa restauration, nous raconte les étapes du processus et les défis rencontrés par l’équipe.

Antonia Mappin-Kasirer

Candidate à la maîtrise en conservation de l’art Université Queen’s

On se rappellera Jean-Paul Mousseau comme l’un des signataires du Refus global, d’abord automatiste, et toujours à l’avant-garde. En 1961, il expose au MBAM sa série de sculptures « Dolmen », dans laquelle il explore la lumière et la couleur au-delà de la toile peinte. L’une de ces œuvres a été offerte au Musée en 2019 par Katerine Mousseau, la fille de l’artiste. Intitulée Sans titre, elle nécessitait plusieurs interventions avant de pouvoir être exposée. Mais, grâce à la générosité de Sari Hornstein, qui a contribué financièrement à sa restauration, le public pourra bientôt l’admirer et faire une incursion dans l’univers lumineux d’un grand artiste québécois.

Vue d’une exposition au MBAM, en 1961, illustrant plusieurs œuvres de la série « Dolmen » de Jean-Paul Mousseau. Publiée dans L’art au Québec depuis 1940 de Guy Robert, Éditions La Presse, 1973, p. 434.

Lorsqu’on porte un regard attentif sur un objet d’art, on découvre une partie de son histoire : on y trouve des traces laissées par le temps, par l’artiste, par celles et ceux qui en ont pris soin avant nous. Sans titre raconte l’histoire d’un artiste ingénieux qui s’est tourné vers des matériaux modernes – résine de polyester pigmentée, fibre de verre, néon – pour jeter un nouvel éclairage sur des éléments fondamentaux de l’art plastique : la lumière et la couleur. « Je rêvais d’une technique qui me [permettrait] de vaincre l’opacité et de laisser la lumière pénétrer librement la couleur1 », a expliqué Mousseau.

La structure de résine semi-translucide est sinueuse, parfois angulaire, parfois torsadée : elle rappelle par moments un corps2, et par d’autres, un vitrail. S’y insèrent quatre tubes au néon coudés (un blanc, un bleu, un rouge et un jaune) formés sur mesure. La structure de résine repose sur une base en acier peinte d’un noir mat qui contient l’appareillage électrique du luminaire. Sur l’un des côtés de ce socle vertical, quatre boutons sont connectés à des gradateurs d’intensité, ceux-ci raccordés aux quatre néons.

Crédit
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Lorsque le luminaire est arrivé au laboratoire, il n’était pas possible de l’allumer et un des néons était brisé. Les surfaces étaient sales et le socle portait de nombreuses traces d’abrasion. Pour restaurer cette œuvre, en outre, il nous fallait respecter le caractère interactif des contrôles lumineux, qui sont une partie intégrante de l’œuvre, de son concept et de son expérience : « [La] découverte de ce nouveau médium pictural permet au spectateur de devenir participant aux différents visages de l’œuvre par des moyens mécaniques, l’exploitation de la lumière artificielle modulant la transparence au gré de son imagination », a noté l’artiste3. Nous avons donc dû faire appel aux compétences de différents spécialistes, au Musée comme en dehors de ses murs.

Antonia Mappin-Kasirer à l’ouvrage lors de la restauration de l’œuvre

Richard Gagnier, Antonia Mappin-Kasirer et Nathalie Richard rassemblés autour de l’œuvre, dans le laboratoire du Service de la restauration du MBAM

Des conversations avec Richard Gagnier, chef du Service de la restauration, Nathalie Richard, restauratrice – Arts décoratifs, et Anne Grace, conservatrice de l’art moderne, ont orienté la prise de décisions et soulevé des questions importantes en matière d’éthique de restauration : les techniques et les matériaux devaient être choisis en prenant soin de rester au plus près des idées de Mousseau et du contexte spécifique de l’œuvre. Quel était l’effet de la variation lumineuse en 1961, et comment y être fidèles tout en mettant à jour certaines composantes électriques désuètes? Était-il possible de trouver des pièces de remplacement pour les modèles originaux malgré leur obsolescence? Comment s’assurer du fonctionnement sécuritaire de la construction sans dénaturer son aspect original et sa qualité artisanale? Notre approche s’est également appuyée sur de la documentation provenant des archives du Musée, et une rencontre avec Katerine Mousseau.

Antonia Mappin-Kasirer, Nathalie Richard et Johanne Perron testant l’insertion des néons restaurés dans le nouveau système de support installé dans la structure de résine

Le défi qui attendait les restaurateurs et restauratrices : conserver au mieux l’intention originale de l’artiste tout en tenant compte de la fonctionnalité, de l’esthétique, de la stabilisation et de la sécurité du circuit, de même que de l’accessibilité de l’œuvre au public. Le système électrique d’origine était ingénieusement bricolé, mais assez rudimentaire; il a stupéfié quelque peu les électriciens et spécialistes du néon consultés.

Nous avons fait appel à Philippe Garneau, propriétaire de Global Néon, pour fabriquer les néons de remplacement en suivant les formes et couleurs originales de ceux de Mousseau. Kirk Bliedung, électricien au MBAM, s’est quant à lui assuré que le courant électrique circulait bien à partir des transformateurs. Il a refait le câblage selon les codes de la Régie du bâtiment en vigueur.

De meilleurs ancrages et supports ont également été ajoutés pour améliorer la stabilité des néons maintenus en suspension dans la cavité du socle. Une fois le nouveau câblage en place, nous avons procédé à un test d’allumage et obtenu une lumière, d’abord vacillante, puis constante. Et la lumière fut? Pas tout à fait…

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Vieux de plus d’un demi-siècle, les rhéostats (appareils de résistances variables servant à régler l’intensité du courant électrique) présentaient des signes d’usure mécanique. L’un d’entre eux était même dangereux – il faisait des étincelles et devait être remplacé. C’est finalement depuis l’Arizona qu’a voyagé le nouveau rhéostat qui a servi à mettre à jour le circuit. Plus moderne que ceux utilisés par Mousseau, il représente une migration technologique, mais sa dissimulation dans le socle ne change pas l’apparence de la sculpture. De cette manière, nous avons pu garantir le fonctionnement sécuritaire du luminaire, tout en respectant les intentions de l’artiste.

En fin de parcours, non sans une certaine appréhension, nous avons procédé au réassemblage de Sans titre en espérant vivre l’expérience imaginée par Mousseau en 1961. Et nous sommes bel et bien devenus des « participant[s] aux différents visages de l’œuvre » en faisant varier la lumière et les couleurs « au gré de [notre] imagination ».

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© Succession Jean-Paul Mousseau / SOCAN (2022)

1 Yves Lasnier, « Grâce au “plastique translucide”, le peintre Jean-Paul Mousseau a pu franchir le mur de la peinture! », Le Devoir, Montréal, 4 février 1961, p. 11.

2 Jean Sarrazin, « Mousseau : couleurs spatiales et chair-matières », Le nouveau journal, 25 novembre 1961, p. 9.

3 Yves Lasnier, op. cit.

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