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5 décembre 2022

La collection d’art québécois et canadien s’enrichit de quelques dessins éloquents

Wyatt Eaton (1849-1896), Le repos de midi, 1884, fusain, craie blanche, 31,2 x 41,7 cm. MBAM, achat, succession Denise Meloche. Photo MBAM, Jean-François Brière

Il est moins fréquent de pouvoir admirer des œuvres d’arts graphiques que des peintures sur nos cimaises. En effet, une longue exposition compromettrait leur conservation. Il importe toutefois de les collectionner pour plusieurs raisons qui vont au-delà de leurs qualités esthétiques : par exemple, un dessin préparatoire ou une esquisse finale peuvent contribuer à documenter les étapes de la création d’une œuvre majeure; un dessin exécuté dans le cadre de la formation d’un artiste est susceptible d’approfondir notre connaissance de sa production; mais aussi, et surtout, ces œuvres sont souvent d’une grande fraîcheur grâce à la fluidité et à l’expressivité du dessin, et nombre d’artistes se sont certainement plu à les réaliser. Année après année, le Musée continue donc d’enrichir sa collection d’arts graphiques. Nous vous présentons ici quelques acquisitions récentes en art québécois et canadien.

Jacques Des Rochers. Photo Vincent Lafrance

Jacques Des Rochers

Conservateur principal de l’art québécois et canadien

Wyatt Eaton : Le repos de midi

Wyatt Eaton était un grand ami du peintre français Jean-François Millet. Certaines de ses œuvres sont d’ailleurs fortement inspirées de l’école de Barbizon et de l’iconographie paysanne chère à Millet. C’est le cas des Moissonneurs au repos, premier tableau digne de mention d’Eaton, réalisé entre 1874 et 1876. Cette œuvre a été présentée au Salon de Paris en 1876, puis à l’exposition annuelle de la National Academy of Design de New York en 1877, où elle a obtenu un vif succès. C’est ce qui a incité Eaton à s’installer à New York pour enseigner le dessin et la peinture. Il y est devenu un portraitiste recherché.

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Entre 1880 et 1892, l’artiste expose plusieurs scènes de genre à l’Art Association of Montreal (l’AAM, aujourd’hui le Musée des beaux-arts de Montréal), qui occupe alors ses premiers locaux permanents au Square Phillips. Ces œuvres contribuent à faire connaître Millet et le style de l’école de Barbizon, encore méconnu au Canada, et sont grandement appréciées des élites montréalaises. En 1884, Eaton retourne en France et y réalise l’un de ses plus célèbres tableaux, Le repos de midi. Présenté à l’AAM en 1886, il est offert à l’association en 1889 par le président de son conseil, le collectionneur R. B. Angus. Depuis, il est exposé de façon quasi permanente dans les salles du Musée.

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Bien plus tard, en 1951, le MBAM s’est vu offrir une esquisse préparatoire pour Le repos de midi intitulée Étude d’une tête de paysanne. Puis, tout récemment, l’occasion s’est présentée d’acquérir un dessin inédit pratiquement identique à l’œuvre dans sa composition. Bien qu’il ne révèle rien de l’évolution du tableau, ses dimensions réduites et ses traits au fusain avec des rehauts de craie blanche nous permettent d’apprécier le talent de dessinateur d’Eaton. Ce dessin témoigne peut-être aussi de la volonté de l’artiste de le graver pour mieux le publiciser, ou encore d’en offrir un autre modèle sur le marché.

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Marc-Aurèle de Foy Suzor-Coté : deux académies

La qualité des nus que Marc-Aurèle de Foy Suzor-Coté a réalisés durant les années 1920 résulte d’un apprentissage soutenu, basé sur la tradition académique de l’étude du modèle vivant. À l’époque, ce passage obligé amenait de nombreux artistes canadiens à poursuivre leur formation en Europe. C’est ainsi que Suzor-Coté arrive à Paris en mars 1891. Il se prépare d’emblée pour l’admission à l’École nationale supérieure des beaux-arts (ENSBA), en s’inscrivant notamment à l’Académie Colarossi. Léon Bonnat, célèbre professeur de dessin et de peinture de l’ENSBA, l’admet dans son atelier le 22 juin 1891. En 1892, la presse montréalaise annonce que l’artiste a remporté un concours de dessin1. L’une des deux académies que nous avons acquises récemment est d’ailleurs datée de cette même année.

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Grâce aux prix qu’il a reçus, Suzor-Coté obtient le privilège, lorsqu’il dessine, de se placer où il l’entend dans l’espace où pose le modèle. S’en rapprocher lui permet de mieux appréhender ce dernier et de le cadrer à sa guise. C’est ce que l’on constate dans notre seconde acquisition, datée de 1894 : dans les autres dessins académiques réalisés plus tôt dans sa carrière, le modèle est représenté dans son entièreté, croqué d’un peu plus loin. L’acquisition de ces deux nus en un court laps de temps est exceptionnelle, car très peu de dessins de Suzor-Coté réalisés avant 1900 ont été conservés à ce jour, et l’artiste s’est par ailleurs plutôt concentré sur l’étude du corps féminin pour le reste de sa carrière. Ces deux académies nous permettent également d’observer l’évolution du rendu des formes chez Suzor-Coté, ainsi que l’influence de sa formation dans son œuvre, en particulier celle qu’il a reçue de Bonnat, qui privilégiait « le rendu du modèle par des effets de clair-obscur2 ».

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Suzor-Coté : La mort de Cadieux sur les rives de l’Outaouais

Un autre dessin de Suzor-Coté est également venu enrichir notre collection récemment. Il illustre une scène de la légende de Cadieux, basée sur des faits réels survenus à l’île du Grand-Calumet, dans l’Outaouais. Jean Cadieux était un coureur des bois, né à Boucherville en 1671. En mai 1709, il est blessé en cherchant à sauver ses compagnons de voyage, dont sa femme et un jeune Algonquin, lors de l’attaque d’un groupe d’Iroquois. Il meurt quelques jours plus tard, épuisé par le combat qu’il a mené et les blessures qu’il a subies. Une complainte à sa mémoire sera longtemps chantée par les voyageurs sur leur parcours en canot vers les Pays-d’en-Haut.

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Écoutez La complainte de Cadieux chantée par Alexandre Belliard.

Paroles : Jean Cadieux | Musique : Alexandre Belliard | Album : Légendes d’un peuple, tome 4 (2016) | Avec l’autorisation de David Murphy et cie

Bien des années plus tard, Louis-Honoré Fréchette écrit un long poème intitulé « Sur la tombe de Cadieux », publié à diverses reprises, mais de façon plus notable dans le recueil La légende d’un peuple, qui fera la renommée de son auteur et dont la première édition sera imprimée à Paris en 1887. Ce poème inspire dès lors plusieurs artistes, dont Alfred Laliberté et Suzor-Coté, qui menaient à l’époque tous deux une carrière à Paris, le premier en sculpture, le second en peinture. À son retour à Montréal, en 1907, Suzor-Coté présente un tableau de chevalet intitulé La mort de Cadieux dans une première exposition individuelle de son œuvre à la galerie W. Scott & Sons. En 1933, la toile sera installée dans une salle consacrée à l’artiste au Musée de la province de Québec (aujourd’hui le Musée national des beaux-arts du Québec), tout juste inauguré. Elle sera acquise par ce musée en 1952.

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Notre dessin au fusain et au pastel présente une version préliminaire du tableau du MNBAQ. Tout comme cette toile, il est issu de la courte période (1901-1907) durant laquelle Suzor-Coté se consacre à la peinture d’histoire, à Paris. Il s’inscrit également dans un corpus d’esquisses préparatoires qui mène à la réalisation d’autres tableaux d’importance tels que La mort de Montcalm (dont une esquisse est conservée au MBAM) ou Jacques Cartier rencontre les Indiens à Stadaconé, 1535 (MNBAQ).

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1 La Patrie, 25 mai 1892, et The Gazette, 12 juillet 1892, dans Laurier Lacroix, Suzor-Coté. Lumière et matière, Ottawa, Musée des beaux-arts du Canada; Québec, Musée du Québec; Montréal, Les Éditions de l’Homme, 2002, p. 60.

2 Lacroix, ibid.

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