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31 mai 2022

Un tableau oublié de William Brymner

William Brymner (1855-1925), La forge, 1889, huile sur toile, 66,5 x 82 cm. MBAM, achat, grâce à la générosité de Roger Fournelle et au fonds Apricus. Photo MBAM, Jean-François Brière

Récemment acquise grâce à la générosité de Roger Fournelle et à la contribution du fonds Apricus, La forge marque un jalon important dans la production des années 1880 de William Brymner, qui, à l’époque, s’intéressait particulièrement aux métiers et aux scènes de genre.

Jacques Des Rochers. Photo Vincent Lafrance

Jacques Des Rochers

Conservateur principal de l’art québécois et canadien

Brymner présente un tableau de ce sujet à deux reprises au printemps 1889 – d’abord à l’exposition de l’Académie royale des arts du Canada (ARC), tenue du 15 au 30 mars à la Galerie nationale (aujourd’hui le Musée des beaux-arts du Canada), à Ottawa; puis au Salon du Printemps de l’Art Association of Montreal (aujourd’hui le Musée des beaux-arts de Montréal), entre le 12 avril et le 4 mai. Trois critiques de l’exposition montréalaise ne laissent aucun doute sur le lien avec l’œuvre acquise par le MBAM. Retenons celles-ci :

Dans La forge, [Brymner] démontre son talent pour la peinture réaliste : l’atelier noirci par la fumée est représenté dans ses moindres détails. Mais la présence d’une planche blanche fortement éclairée à l’avant-plan de cette composition sombre pousse l’exercice un peu trop loin [Traduction libre].

The Gazette, 12 avril 1889.

La forge […], une étude savante de l’atelier. Le forgeron travaille ici debout, tenant le soufflet d’une main et de l’autre une tige de fer avec laquelle il attise le feu. Les outils, représentés avec la plus grande exactitude et une extrême minutie, apportent la touche finale à cette scène frappante de réalisme [Traduction libre].

The Montreal Herald and Daily Commercial Gazette, 13 avril 1889.

Comme le souligne la critique, la composition représente la forge d’alors dans ses moindres détails : l’enclume sur un billot de bois, un marteau et des tenailles, un étau sur la table d’atelier, un seau d’eau pour la trempe, un tisonnier et un soufflet pour attiser le feu… Toutefois, le réalisme de l’œuvre ne procède pas, pour Brymner, d’une volonté à rivaliser avec la photographie en vogue. Comme certains de ses collègues canadiens avec qui il a étudié à Paris, il conteste cette pratique adoptée par plusieurs peintres. Il désire travailler sur le motif et s’intéresse aux jeux d’ombre et de lumière, de même qu’à la construction de l’image. La présence d’une œuvre appartenant à la succession de l’artiste, A Smithy, Near St. Eustache [Une forge, près de Saint-Eustache], dans l’exposition commémorative consacrée à Brymner en 19261 laisse à penser qu’il s’est inspiré d’un atelier de cette ville des Basses-Laurentides pour réaliser La forge2.

Par ailleurs, Brymner s’intéresse tôt aux métiers traditionnels. À l’été 1883, à Pontaubert, en Bourgogne, il peint Avec Dolly chez le sabotier. La toile exposée à l’Art Association of Montreal (AAM) et à l’ARC en 1884 est acquise la même année par la Galerie nationale. Avec sa palette réduite de bruns, de gris et de bleus, elle inaugure une série d’œuvres associées aux métiers. Dans leur composition, la profondeur de l’espace est donnée tantôt par les ouvertures à carreaux situées dans l’angle de la pièce, tantôt par les lignes formées par les planches de bois aux murs et au sol, les tables et bancs d’atelier ou les étagères.

William Brymner (1855-1925), *Avec Dolly chez le sabotier*, 1883, huile sur toile, 38,1 x 46,2 cm. Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa, achat en 1884. Photo MBAC
Crédit

À Baie-Saint-Paul, à l’été 1885, Brymner peint La Femme au métier, qui sera exposée à l’Ontario Society of Artists en 1886. Une fenêtre à deux battants avec de nombreux carreaux – élément caractéristique du bâti canadien-français traditionnel – s’ouvre sur le paysage. Source de lumière, elle fait se profiler la silhouette du personnage et projette une gamme de tons clairs-obscurs sur les surfaces. Le dessin des planches au sol et des divers montants du métier à tisser témoigne d’un intérêt soutenu : Brymner représente souvent des lignes qui se croisent et s’entrecroisent dans la composition de ses tableaux, comme c’est le cas dans La forge.

Crédit

Peu d’œuvres datant des débuts du professorat de Brymner nous sont connues (il devient directeur de l’école d’art de l’AAM en 1886). La forge vient donc enrichir notre connaissance de la production de cette figure majeure de la scène artistique montréalaise, québécoise et canadienne.

1 Memorial Exhibition of Paintings by the Late William Brymner, C.M.G., R.C.A., présentée à l’AAM du 30 janvier au 14 février 1926. Notons que La forge, qui ne s’est pas vendue à l’ARC en 1889, n’a pas non plus trouvé preneur à l’AAM.

2 Brymner, qui s’est fait construire un atelier à Saint-Eustache en 1905 avec son ami et collègue de l’AAM Maurice Cullen, devait déjà bien connaître la région.

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