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16 janvier 2024

Un vase en forme de zébu ouvre une fenêtre sur le passé

Âge du fer ancien (1250-550 AEC), IRAN DU NORD-OUEST, RÉGION DE MARLIK, récipient à bec en forme de zébu, 1200-800 AEC, terre cuite. MBAM, don de F. William Molson et Barbara MacKenzie à la mémoire de Mary et David Hodgson. Photo MBAM, Jean-François Brière

Grâce à la générosité de F. William Molson et de Barbara MacKenzie, le Musée a récemment acquis un récipient à bec de l’âge du fer ancien provenant de la région de Marlik, dans le nord-ouest de l’Iran. Derrière cet objet sculptural se cache le captivant récit de sa fabrication, de son usage et de son périple depuis une sépulture du plateau iranien jusqu’aux mains d’un collectionneur montréalais.

Laura Vigo

Conservatrice de l’art asiatique

Ce vase en forme de zébu1 est le premier du genre à entrer dans la collection du Musée. Il appartient à un groupe de poteries et d’objets en céramique dits « d’Amlash », une cité marchande située sur le littoral de la mer Caspienne par laquelle ils auraient transité clandestinement. On trouve des artéfacts similaires dans des collections du monde entier, mais très peu proviennent de fouilles contrôlées.

Dans les années 1930, les poteries d’Amlash ont inondé le marché international de l’art à la suite d’un vif engouement pour ces étranges et fascinants objets. Cette hémorragie du patrimoine culturel a toutefois fini par soulever l’indignation du public. Conjuguée à la montée du nationalisme, cette situation a incité le gouvernement iranien à procéder au relevé complet de tous les sites archéologiques en 1961 afin de mettre un terme au pillage et d’établir la provenance de ces inestimables trésors. C’est la même année qu’a été officiellement exhumé le cimetière royal de Marlik. Datée d’entre 1200 et 800 avant notre ère, cette nécropole contenait plus de 25 000 objets : le plus vaste ensemble jamais découvert sur un site de l’âge du fer ancien en Asie occidentale. Après cette importante fouille, les artéfacts de Marlik ont à nouveau envahi le marché pour se retrouver entre les mains de collectionneurs et de musées étrangers. La forme zoomorphe de notre récipient à bec en a probablement fait un candidat à la relocalisation, et on estime qu’il serait arrivé à Montréal entre les années 1930 et les années 1960.

Âge du fer ancien (1250-550 AEC), IRAN DU NORD-OUEST, RÉGION DE MARLIK, récipient à bec en forme de zébu, 1200-800 AEC, terre cuite. MBAM, don de F. William Molson et Barbara MacKenzie à la mémoire de Mary et David Hodgson. Photo MBAM, Jean-François Brière

D’après la radiographie aux rayons X effectuée par le British Museum sur un récipient du même type, on peut déduire que la panse cylindrique du vase acquis par le Musée a été confectionnée à la main à partir d’argile fine façonnée en galette et par colombinage, et que les cornes, la bosse, les pattes et le bec ont été ajoutés plus tard. L’uniformité chromatique témoigne d’une grande maîtrise de la cuisson au four et confirme le savoir-faire technique de cette époque2. La surface a été volontairement brunie pour obtenir un poli satiné. Cette caractéristique, alliée au choix particulier des teintes d’argile, donne à penser que les céramistes cherchaient à imiter les récipients en bronze3. Ces céramiques à bec pourraient en effet être des « copies » de prototypes en métal, reflet d’une pratique bien documentée d’émulation qui était destinée aux personnes n’ayant pas les moyens de s’offrir la version originale.

Âge du fer ancien (1250-550 AEC), IRAN DU NORD-OUEST, RÉGION DE MARLIK, récipient à bec en forme de zébu, 1200-800 AEC, terre cuite. MBAM, don de F. William Molson et Barbara MacKenzie à la mémoire de Mary et David Hodgson. Photo MBAM, Jean-François Brière

Plusieurs caractéristiques des zébus de céramique indiquent qu’il s’agit d’objets cérémoniels ou rituels. Un grand nombre de récipients de ce type étaient en effet disposés en rangées dans les sépultures royales à Marlik. De plus, la majorité de ces objets sont polis et gravés de motifs géométriques simples : cette continuité de forme entre les spécimens qui nous sont parvenus laisse croire à un mode de production imposé obéissant à des conventions stylistiques bien précises. Or, de tels modes de production sont généralement associés à la fabrication d’objets rituels. La forme proche de celle du taureau est également révélatrice : il s’agit, selon toute vraisemblance, d’un important symbole de prospérité et de fertilité. Même si l’on ignore ce que contenaient ces récipients, il est tout à fait possible qu’ils aient été destinés à des libations rituelles.

Le MBAM possédait déjà plusieurs artéfacts associés à la civilisation de Marlik : un groupe modeste, mais extraordinairement bien préservé, de récipients à bec peints datant de l’âge du bronze ainsi qu’une remarquable figurine féminine qui est exposée dans l’aile Stéphan Crétier et Stéphany Maillery pour les arts du Tout-Monde. L’ajout de ce vase en forme de zébu datant de l’âge du fer ancien permet au Musée d’enrichir sa collection d’objets liés à ce phénomène archéologique fascinant, jadis connu sous le nom d’Amlash, qui a été la source d’un collectionnement frénétique. Passant de main en main, cet objet a traversé le temps et l’espace pour venir murmurer le récit de son périple à ceux et celles qui voudront l’écouter.

Crédit

1 Le zébu est une espèce bovine originaire de l’Inde qui se distingue par la présence d’une bosse prononcée sur son dos.
2 Ezat O. Negahban, Marlik: The Complete Excavation Report, University of Pennsylvania Museum of Archaeology and Anthropology, 1996, p. 219.
3 Ce phénomène, qui porte le nom de « skeuomorphisme », est largement documenté dans de nombreux contextes archéologiques à l’échelle mondiale. Voir Trudy S. Kawami, Ancient Iranian Ceramics from the Arthur M. Sackler Collections, New York, Arthur M. Sackler Foundation, 1992, p. 103.

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