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27 février 2024

Herbert List : voyage en Méditerranée

Herbert List (1903-1975), Ritti avec une canne à pêche, 1937 | Bocal au poisson rouge, 1937 | Au matin, 1937, tirages posthumes 1999. MBAM, dons de Amnuai Khongna et Yves Nantel. © Herbert List / Magnum Photos

Figure marquante de la photographie du 20e siècle, Herbert List a fait l’objet d’une exposition rétrospective au MBAM en 2002, mais aucune de ses œuvres ne faisait partie de la collection du Musée jusque tout récemment. Trois photographies inspirées par les séjours méditerranéens de l’artiste et par le surréalisme viennent en effet de nous être offertes par Amnuai Khongna et Yves Nantel, que nous tenons à remercier.

Alexandrine Théorêt

Conservatrice adjointe de l’art moderne et contemporain international

Quiconque possède un tant soit peu d’intuition comprend que la photographie, avec toute sa technicité, a quelque chose d’absolument magique.

- Herbert List1

Né en 1903 dans une famille de commerçants de Hambourg, en Allemagne, Herbert List commence sa carrière en tant qu’apprenti au sein de l’entreprise de son père, un marchand de café. Il étudie en même temps la littérature et l’histoire de l’art à l’université de Heidelberg. Entre 1924 et 1928, il prend des clichés des voyages qu’il effectue pour l’entreprise familiale, mais ce n’est que plus tard, dans les années 1930, qu’il choisira la photographie comme profession. Ses compositions rigoureuses et classiques en noir et blanc influenceront la photographie moderne et la photographie de mode contemporaine.

En 1930, List rencontre Andreas Feininger. Celui-ci lui fait découvrir le Rolleiflex, un appareil biobjectif plus sophistiqué que ceux que le jeune photographe utilisait jusqu’alors et qui facilite la composition des images. Sous l’influence du mouvement surréaliste et de l’école du Bauhaus, List développe son propre style en photographiant principalement des natures mortes ou en prenant pour sujets ses amis. D’origine juive, il quitte l’Allemagne en 1936 à l’approche de la Seconde Guerre mondiale. Il s’installe à Paris, puis à Londres, où il rencontre le photographe de mode George Hoyningen-Huene qui le recommande au Harper’s Bazaar. List réalise quelques commandes pour le magazine, mais, insatisfait de son travail commercial, préfère se consacrer à la composition de natures mortes en studio. À la fin des années 1930, ses voyages le conduisent dans le bassin méditerranéen, notamment en Grèce, où il photographie encore ses amis, mais aussi des temples, des ruines, des paysages et des sculptures classiques.

Les années que passe l’artiste en Méditerranée sont aussi prolifiques que déterminantes. Il y réalise plusieurs clichés de jeunes hommes sur des plages ensoleillées qui mettent en valeur le physique masculin, en plus d’illustrer les rencontres qu’il fait au fil de ses voyages. On y observe souvent ses modèles près de la mer, occupés à s’amuser ou à pêcher. Le résultat se situe quelque part entre un instantané immortalisant une journée à la plage et une vision idéalisée, intemporelle, de l’amitié et de l’amour entre hommes.

Ritti avec une canne à pêche

Cette photographie offre un excellent exemple de la façon dont List représente ses jeunes sujets : bien coiffés, à la mode de l’époque, partiellement vêtus et affichant une attitude naturelle et spontanée. Ils sont souvent placés devant des ruines ou des fragments de statues grecques. Leurs poses font écho à celles des sculptures classiques ou de la Renaissance, mais ils ne portent pas d’artifices, contrairement aux modèles utilisés par certains prédécesseurs, comme Wilhelm von Gloeden. List ne montre pas non plus ses sujets nus, mais plutôt en sous-vêtements ou en maillots de bain – une approche qu’il juge plus sophistiquée et moins sulfureuse. Il s’intéresse également à la conception de l’homosexualité intergénérationnelle dans la Grèce antique2. Ses modèles sont habituellement photographiés à contre-jour, en contre-plongée, comme s’ils étaient eux-mêmes des statues ou des monuments. C’est le cas dans Ritti avec une canne à pêche, où le jeune homme est représenté accroupi et se concentrant sur sa tâche.

Crédit
Au matin

List s’inspire de l’architecture classique qu’il découvre à Athènes et des tableaux surréalistes de Giorgio de Chirico et de Max Ernst pour réaliser des photographies centrées sur la forme et la composition. La lumière et les paysages de la Méditerranée confèrent aux objets banals sélectionnés par l’artiste un éclat presque magique. List devient ainsi le photographe le plus représentatif de la fotografia metafisica, un style apparenté au réalisme magique où se côtoient rêves et images fantastiques. Il utilise des miroirs, des masques ou des cadres de fenêtres vides pour créer des compositions teintées de symbolisme. Ici, le photographe joue avec la transparence du rideau orné, derrière lequel on distingue nettement un jeune homme entrant par l’ouverture de la porte.

Crédit
Bocal au poisson rouge

Dans cette composition, un bocal repose sur un muret qui surplombe une mer scintillant au lever ou au coucher du soleil. Plus loin, à contre-jour, on discerne une île. List écrira plus tard que cette image est une métaphore de la condition humaine : comme le poisson dans son bocal, nous sommes prisonniers de notre environnement immédiat et de notre enveloppe corporelle, incapables de nous immerger totalement dans la magnificence du monde. Cette scène montrant un poisson confiné, si près d’une mer qui lui est pourtant inaccessible, a été croquée après le départ de List de son pays natal. Elle peut donc aussi être lue comme une méditation sur la futilité de la vie ou sur l’exil.

Crédit

1 Cité dans Photography as a Means of Artistic Expression, 1943 (traduction libre).

2 Qui repose notamment sur la relation tant physique qu’éducationnelle entre l’erastes (homme adulte) et l’eromenos (jeune homme).

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