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23 février 2022

Place à la Société d’art contemporain de Montréal!

Vue partielle de l’espace consacré à la Société d’art contemporain de Montréal dans le pavillon Claire et Marc Bourgie. © Succession Charles Daudelin / SOCAN (2022). Photo MBAM, Annie Fafard

Dans le pavillon d’art québécois et canadien Claire et Marc Bourgie, l’étage des Chemins de la modernité a été récemment réaménagé pour souligner l’importance de Montréal et de notre institution, l’Art Association (aujourd’hui le MBAM), sur la scène artistique québécoise et canadienne. Cette nouvelle présentation met en valeur le rôle de la Société d’art contemporain de Montréal (1939-1948) dans l’affirmation de la modernité.

Jacques Des Rochers

Conservateur principal de l’art québécois et canadien

Sacha Marie Levay

Technicienne à la restauration

Plus que toute autre organisation du Canada, la Société d’art contemporain de Montréal a défendu, en ses dix années d’existence, le droit à la libre expression artistique. Fondée à l’initiative du peintre et critique John Lyman, cette vaste organisation hétérogène cherchait autant à promouvoir l’art moderne qu’à mettre fin au clivage entre la communauté anglophone et la communauté francophone de Montréal, s’ouvrant également à la communauté juive. De telles ambitions résultaient en grande partie d’une réflexion entretenue par Lyman en Europe, où il avait passé presque vingt ans.

Après avoir exposé de l’art figuratif, la Société d’art contemporain a fait de plus en plus de place à l’abstraction. Cependant, cette orientation prise par Paul-Émile Borduas et les Automatistes, au sein de la Société, a fini par paraître trop radicale aux yeux de certains, et le schisme a entraîné sa dissolution. Par son ouverture même et sa dizaine d’expositions, auxquelles ont participé de nombreuses femmes et de jeunes artistes des nouvelles générations, elle a fécondé et enrichi le milieu artistique local, invitant du même coup à des expérimentations plastiques inédites. Elle a permis, en somme, que débute un autre chapitre de la modernité artistique au Québec et au Canada.

Le nouvel accrochage met en valeur l’apport de cette organisation par la présentation de plusieurs nouvelles acquisitions et d’autres œuvres rarement exposées. Pour rétablir leur intégrité, certaines ont été restaurées ou réencadrées. La juxtaposition d’œuvres aux sujets similaires permet également de comparer les approches distinctives des artistes au sein même du groupe. Les quelques exemples qui suivent en témoignent.

Deux portraits de Gabrielle Borduas

Paul-Émile Borduas, premier vice-président de la Société d’art contemporain, bénéficie grâce à ce regroupement d’un important espace de diffusion pour son œuvre. Son portrait de Gabrielle, son épouse, est présenté en 1940 à la deuxième exposition de la Société à l’Art Association of Montreal, sous le simple titre Portrait. L’architecte, designer et critique Marcel Parizeau est alors le meilleur commentateur de l’œuvre, dont il souligne l’effet décoratif plus épuré, la facture large, le sentiment d’intimité et la familiarité de l’attitude, la couleur et le motif de la robe qui lui confèrent une poésie aisée. John Lyman la reproduira dans son article sur l’exposition paru dans la revue The Montrealer en décembre 1940.

Dans son portrait de Gabrielle peint l’année suivante, Louise Gadbois exprime une égale volonté décorative. L’utilisation d’une délicate palette de tons pastel contraste toutefois avec la rapidité d’exécution chère à l’artiste, qui donne sa force de caractère au modèle. Dans les deux portraits, les yeux noirs perçants et les bras croisés de Gabrielle, modèle apparemment recherché, évoquent à la fois l’ouverture et la retenue. Un cadre d’époque a récemment été recyclé et spécialement adapté pour cette nouvelle acquisition.

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Variations sur le thème de la nature morte

Le retour au Québec d’Alfred Pellan en 1940, après de nombreuses années en France, marque les esprits alors influencés par une nouvelle liberté, même si l’éclectisme stylistique de l’artiste mène progressivement à la constitution de deux camps esthétiques distincts entre les futurs signataires du manifeste Prisme d’Yeux et les Automatistes. Pellan livre ici une composition imposante, éminemment décorative, qui couvre l’espace de plans et de grilles, et marie avec une palette de couleurs vives les leçons du cubisme et d’Henri Matisse. L’œuvre est mise en valeur par son nouvel encadrement, inspiré de celui d’une autre nature morte de Pellan également datée de 1940.

Achetée en 1942 lors de l’exposition de la Société d’art contemporain, Nature morte (Fruits et feuilles) est la première œuvre de Paul-Émile Borduas à être acquise par l’Art Association of Montreal. Elle présente, au coin d’une table, trois pommes et deux grappes de raisin, en partie déposées sur un tapis de feuilles de laurier, que ceint une nappe ou un napperon à carreaux. La leçon de Cézanne y est manifeste, mais l’arrangement rappelle aussi une nature morte de Georges Braque peinte en 1938, dont l’image se trouvait dans une revue que possédait l’artiste. Par son sujet qui valorise essentiellement formes et couleurs, ce tableau est annonciateur des premières œuvres non figuratives de Borduas.

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Des nus entre figuration et abstraction

Charles Daudelin expose avec la Société d’art contemporain à la galerie Dominion en 1943, en 1944 et en 1946, chez Eaton à Toronto en 1945, et à l’exposition ensuite réaménagée pour l’Art Association of Montreal en 1946. Il fait partie de cette cohorte d’étudiantes et d’étudiants francophones d’abord présentés dans la catégorie des jeunes artistes de la Société, puis de celles et ceux qui s’affirment et modifient la composition même du regroupement, en particulier les élèves de Borduas à l’École du meuble, devant des propositions plutôt associées à la modernité figurative. Daudelin peint Odalisque ou Le sphinx à Paris au printemps 1948, peu de temps après avoir signé le manifeste Prisme d’Yeux. Au même moment, John Lyman expose Rose au 65e salon du Printemps de l’Art Association of Montreal.

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Goodridge Roberts, Intérieur

Goodridge Roberts s’installe à Montréal en 1936 et s’illustre parmi les membres de la Société d’art contemporain, qui le considèrent, à l’instar de John Lyman, comme l’un des plus habiles. En 1939, il est, avec Eric Goldberg et Louis Muhlstock, membre du jury qui choisira les œuvres pour la première exposition de la Société. Il expose cette même année ses aquarelles à l’Art Association of Montreal, qui y acquiert sa première œuvre, un paysage laurentien. Et c’est également en 1939 qu’il peint cet Intérieur, récemment acquis, qui vient d’être réencadré par l’équipe de la Restauration du Musée. La pertinence historique et esthétique de l’encadrement sélectionné a été confirmée par la découverte de l’inscription « G. Roberts » à son dos.

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Moe Reinblatt, Autoportrait au chapeau vert

Dès ses débuts en 1939, la Société d’art contemporain compte parmi ses membres des artistes de la communauté juive montréalaise, tels Jack Beder, Alexander Bercovitch, Sam Borenstein, Louis Muhlstock, Eric Goldberg et Regina Seiden Goldberg, dont plusieurs participeront régulièrement à ses expositions. Moe Reinblatt fera partie quant à lui d’Art of Our Day in Canada, exposition tenue par la Société à la fin de 1940 à l’Art Association of Montreal, dans laquelle elle y présentera pour la seule fois un groupe plus élargi d’artistes du Canada non membres. On y retrouvera aussi de la communauté juive Herman Heimlich, Harry Mayerovitch et Fanny Wiselberg.

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Deux acquisitions récentes de Louis Muhlstock

La première œuvre de Muhlstock présentée avec la Société d’art contemporain, à la Stevens Art Gallery en décembre 1939, est une représentation de la ruelle Goupil. La ruelle Leduc croise cette dernière dans un secteur délabré et depuis détruit, remplacé par les Habitations Jeanne-Mance. Muhlstock sera tout particulièrement attiré par ce quartier ouvrier défavorisé, qu’il connaît bien pour y avoir habité; il pénètre les logements abandonnés et dresse le portrait touchant d’espaces inanimés. Les marques du temps, les formes et la palette de couleurs vives sont autant d’occasions d’affirmer la modernité de sujets autrement triviaux. Ruelle Leduc, Montréal est toutefois l’un des rares tableaux de l’artiste où les habitants croqués sur le vif animent un paysage architectural qui constitue habituellement le seul motif de l’œuvre. Muhlstock révèle ici le sujet d’un roman de Michel Tremblay avant la lettre!

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Le site réel de Vue depuis une fenêtre, qui donne sur le mont Royal, et celui de la ruelle transversale, où se chevauchent des bâtiments aux façades secondaires génériques, a pu être retrouvé grâce aux plans et aux photographies aériennes d’époque et à la visite des lieux pourtant considérablement modifiés. Muhlstock aurait croqué son sujet de la fenêtre arrière de l’appartement d’un ami au Maplecourt, un immeuble alors récemment construit au 3540, rue Durocher. Dans son tableau, l’artiste représente un cadre bâti constitué d’un enchevêtrement de formes et de couleurs en aplat, qui met en relief au cœur de la composition deux arbres dépouillés de leurs feuilles, l’automne. Une aquarelle représentant un Vieil arbre est aussi la première œuvre de Muhlstock à être acquise par l’Art Association of Montreal en 1939.

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