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28 février 2023

Une exposition pour rêver collectivement l’intérieur

Joanne Tod (née en 1953), Vérole, 1994, huile et acrylique sur polyester, 91,4 x 122,1 cm. MBAM, don de J. Serge Sasseville à la mémoire de François Dell’Aniello. Photo MBAM, Christine Guest

À l’affiche jusqu’au 2 juillet 2023, l’exposition Vues de l’intérieur : portraits de l’espace habité nous invite à redécouvrir les multiples facettes de l’espace intérieur à travers une sélection d’œuvres de la collection d’art québécois et canadien contemporain du MBAM. Revitalisé par la rotation de certaines œuvres en janvier dernier, l’ensemble comprend des acquisitions récentes et des pièces rarement montrées.

eunice bélidor

Commissaire de l'exposition

La pandémie nous sert souvent à justifier le fait que nous accordons de plus en plus d’importance à notre logis, mais il y a déjà bien longtemps que nous y sommes attachés. Dans les films, les chansons et les livres, la joie d’être chez soi est scandée et les exemples où le domicile est mis en lumière abondent : pensons ici aux intérieurs fantastiques du cinéaste Wes Anderson, à la Lazy Song du chanteur Bruno Mars, ou encore au roman Oblomov de l’écrivain Ivan Gontcharov. Cependant, les dernières années ont profondément transformé notre perception de l’intérieur. Au plus fort de la crise, rester à la maison n’était plus un choix, mais une obligation – le cocooning est devenu confinement lorsque, à tort ou à raison, notre chez-soi nous a été imposé comme l’espace le plus sécuritaire pour ralentir la contagion.

Vues de l’intérieur se veut une recherche sur les différents types d’espaces intérieurs et sur la manière dont ceux-ci sont évoqués par les artistes. L’exposition regroupe des œuvres qui nous ouvrent une porte sur les multiples façons d’y vivre et d’y naviguer : l’intérieur comme espace domestique, comme lieu de création ou d’intimité. Une place est également accordée à l’intérieur utopique, puisque certaines œuvres nous amènent aussi à rêver l’espace idéal.

L’intérieur domestique

L’intérieur domestique est l’espace le plus souvent occupé et utilisé. Sans contredit le premier lieu qui nous vient à l’esprit lorsqu’il est question d’espace habité, il est le centre de la vie familiale et de la vie commune, l’endroit où nous nous enracinons et où nous créons nos premiers souvenirs. Dans Le premier mai de Paul André, un jeune garçon est montré assis, l’air impassible, dans un fauteuil prêt à être déménagé. À l’époque de la création du tableau, le jour du déménagement était fixé au 1er mai au Québec – il sera plus tard déplacé au 1er juillet pour que les jeunes n’aient pas à changer d’école avant la fin de l’année scolaire. On peut deviner que l’enfant dépeint pense à ce qu’il perdra en quittant son logis. Vanité, de Pierre Dorion, met en scène un intérieur où sont soigneusement disposés un sèche-cheveux, un vaporisateur et un tabouret face à un grand miroir. Le caractère utilitaire de la pièce est accentué par l’absence de personnage.

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À l’inverse, Raymonde April fait place à la figure humaine, en l’occurrence l’artiste québécoise Michèle Waquant, dans son Portrait de Michèle. Par son format et sa composition – lumière oblique, femme pensive assise devant une bibliothèque, rideau ouvert au premier plan –, celui-ci évoque des scènes d’intérieur traditionnelles qui renvoient à l’histoire de la peinture. Des livres sur Paul-Émile Borduas, des catalogues d’exposition et des photographies réalisées par April elle-même, bien en évidence dans la bibliothèque, viennent renforcer l’aspect symbolique de cette image qui rend hommage à la peinture tout en conservant la trace de sa propre genèse photographique.

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L’atelier

Espace de prédilection des artistes, l’atelier est un endroit pour réfléchir, s’inspirer, laisser aller sa créativité et matérialiser ses idées. Il peut être attenant au lieu de vie, quelques kilomètres plus loin, partagé ou individuel. L’atelier de Christine Major représente l’atelier fictif de l’artiste, puisque les toiles abstraites qu’on y voit n’ont jamais existé. Mise en abyme fine et nuancée de la représentation en peinture, cette œuvre offre une interprétation originale et engageante d’un thème familier. Dans l’exposition, l’atelier est présenté comme un lieu solitaire et intime, car les artistes sont « les seuls casaniers socialement acceptables [et que] leur claustration volontaire produit un résultat tangible et leur confère un statut prestigieux, respecté1 ».

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L’intérieur intime : un espace de soin

La fonction première de l’espace intérieur est d’être un abri pour se protéger des intempéries, mais les artistes de cette section poussent l’idée encore plus loin : ils dépeignent l’intérieur comme un abri symbolique où nous nous réfugions pour prendre soin de nous. C’est à l’intérieur que nous nous laissons aller à l’intimité physique, que nous soignons la maladie, que nous nous recueillons spirituellement et que nous nous protégeons des agressions et du danger. Reconnue pour aborder les questions de genre et de classe sociale d’un point de vue sociopolitique dans ses peintures réalistes, Joanne Tod laisse sous-entendre dans Vérole qu’une maladie virale contamine notre petit confort moderne.

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Handle with Care de Natalie Reis se lit aussi comme un avertissement : l’artiste y fait référence au soin avec lequel il faut manipuler les œuvres fragiles, mais aussi à ceux que les femmes prodiguent souvent à leurs proches au quotidien sans que leurs efforts soient reconnus. Ici, le soin des objets et le soin des humains se rejoignent. Le personnage dans Nul besoin d’attendre l’aube ou l’aurore, car c’est arrivé! d’Oreka James reçoit un message, comme une illumination qui lui vient après être entré en transe. Campé dans une pièce lumineuse où pousse une fleur, il a été rendu anonyme par l’artiste pour détourner le regard voyeur qui trop souvent opprime les personnes noires. L’espace intérieur lui donne l’intimité nécessaire pour vivre et accepter ce message divinatoire.

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Les entre-lieux

L’entre-lieu se définit comme un espace de transition, une zone qui n’appartient à personne, que tout le monde peut traverser, et qui offre des occasions de rencontres fortuites. Halls, escaliers, toilettes, fenêtres : bien que nécessaires à l’aménagement des espaces intérieurs, ces entre-lieux sont souvent réfléchis après coup, presque accessoirement. À la jonction de la peinture et de la photographie, les œuvres de Michael Merrill issues de la série « Espace intérieur » reprennent divers lieux de transition et de transformation du Musée en leur conférant une aura de mystère. Elles représentent des moments particuliers et importants de l’histoire du MBAM.

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L’intérieur utopique

Enfin, les intérieurs utopiques sont des constructions imaginaires, parfois rigoureuses, d’espaces qui constituent un idéal pour l’artiste qui les réalise. Les œuvres de cette section sont empreintes d’un désir d’illuminer des futurs possibles par la construction d’espaces fictifs. L’installation Des fissures jaillit la lumière de Caroline Monnet présente l’ossature d’une maison traditionnelle compartimentée. L’artiste a volontairement omis le revêtement afin de révéler ce qui se cache sous la surface, une métaphore pour aborder la crise du logement dans les communautés autochtones.

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Ayant constaté l’absence de souci du détail et de l’esthétique dans la construction de nouvelles maisons sur les réserves, Monnet a voulu décorer la sienne. Elle a donc découpé à même les panneaux une dentelle de motifs inspirés de l’iconographie traditionnelle anishinaabe – une façon de dire qu’il faut apporter un peu de joie et de beauté dans le quotidien des personnes qui vivent dans des conditions d’habitation déplorables. Par la présentation de ce lieu utopique, elle souhaite inspirer la création d’espaces sereins où filtreraient la lumière et l’espoir, et où les peuples autochtones pourraient imaginer un avenir meilleur et s’y projeter.

L’exposition Vues de l’intérieur a été conçue pour un vaste public : des personnes qui se délectent du plaisir de rester chez elles à celles qui aiment jeter un œil curieux chez les autres, en passant par celles qui rêvent de leur propre chez-soi; un endroit offrant intimité et liberté. En ouvrant une porte sur des œuvres de notre collection, elle nous invite à découvrir tous les intérieurs possibles, car « la maison abrite le rêve, la maison protège le rêveur, la maison nous permet de rêver en paix2 ».

1 Mona Chollet, Chez soi : une odyssée de l’espace domestique, Paris, Découverte, 2016, p. 27.

2 Gaston Bachelard, La poétique de la rêverie (4e édition), Paris, Presses universitaires de France, 1968.

Vues de l’intérieur : portraits de l’espace habité
Jusqu'au 2 juillet 2023

Crédits
Une exposition organisée par le Musée des beaux-arts de Montréal.

Le Musée reconnaît l’apport essentiel de son commanditaire officiel, Peinture Denalt. Il remercie le Cercle des Jeunes philanthropes du MBAM, qui est fier de contribuer à son programme d’art contemporain, ainsi que La Presse, son partenaire média. L’exposition a été réalisée en partie grâce au soutien financier du gouvernement du Québec, du Conseil des arts du Canada et du Conseil des arts de Montréal.

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