Skip to contentSkip to navigation
10 octobre 2023

Une œuvre inédite de Nathalie Bujold pour la Toile numérique du MBAM

Nathalie Bujold (née en 1964), Pixels, petits points et monument, 2023, vidéo projetée sur la façade du pavillon Michal et Renata Hornstein du MBAM, projection architecturale, 5 min 5 s (en boucle). Avec l’aimable concours de l’artiste et de la galerie ELLEPHANT, Montréal. Photo MBAM, Denis Farley

Depuis le 11 septembre 2023 et jusqu’au printemps 2024, une nouvelle œuvre numérique illumine tous les soirs la façade du pavillon Michal et Renata Hornstein, de la tombée du jour jusqu’à 23 h. Intitulé Pixels, petits points et monument, ce « tissage vidéographique » plonge les passants et passantes de la rue Sherbrooke Ouest dans une méditation contemplative et hallucinante qui conjugue avec fulgurance l’exaltation du mouvement à la poésie du quotidien. Mary-Dailey Desmarais s’est entretenue avec sa créatrice, l’artiste québécoise Nathalie Bujold.

Mary Dailey Desmarais. Photo Stéphanie Badini

Mary-Dailey Desmarais

Conservatrice en chef

Réalisée à l’aide d’un synthétiseur vidéo, l’un des premiers appareils utilisés lors de performances en art vidéo, l’œuvre Pixels, petits points et monument rend hommage à l’histoire de cette discipline, mais aussi à celle de la peinture abstraite et de l’art textile. Dans un espace où les lignes ploient jusqu’à devenir des courbes, puis des cercles fermés, les formes se changent en compositions numériques qui ont tout d’une peinture et qui imitent à s’y méprendre la texture d’une tapisserie.

Portrait Nathalie BujoldNathalie Bujold. Photo Emma Ongman

Née en Gaspésie, Nathalie Bujold vit et travaille à Montréal. Ses œuvres, présentées au Canada et dans plusieurs pays, lui ont valu de nombreuses distinctions, dont le Prix de la création artistique du Conseil des arts et des lettres du Québec et le prix René-Richard. Elle nous parle ici de sa pratique, à la lisière de l’artisanat et de l’art numérique, de ses inspirations et du processus de création derrière Pixels, petits points et monument.

Pourriez-vous nous décrire la genèse de ce projet pour la Toile numérique du MBAM?

D’emblée, l’idée de « Toile numérique » m’a interpellée puisqu’elle évoque le textile, la peinture et la vidéo. Les premières questions qui me sont venues en tête étaient : « Comment négocier avec cette architecture très ornementale? » et « Comment ne pas ignorer la vocation de cet édifice? » Je me servais au même moment d’un synthétiseur vidéo dans le cadre d’une résidence offerte par Ed Video. C’était l’outil idéal pour créer le genre d’images que je voulais obtenir, comme une sorte de tissu, avec du mouvement, des motifs, de l’abstraction, des couleurs, de la luminosité… C’était donc un heureux concours de circonstances. Je me suis lancée et j’ai fait des collections – je suis partie du vocabulaire d’une plasticienne, en utilisant les formes, les lignes, les motifs, les mouvements… J’ai classé tout ça par ensembles pour pouvoir ensuite faire le montage de façon linéaire. Cet hommage à la peinture évoque des œuvres de Seurat, de Riley, de Pollock, de Newman, d’Oldenburg, de Lichtenstein, de Marisol, de Letendre, de Tousignant, d’Hurtubise, de Riopelle, avec des éclats pixellisés… et de Sullivan, bien sûr, avec des carrés de couleurs. Et puis il y avait aussi Steina et Woody Vasulka, qui étaient, pour moi, la référence, avec Gilbert Boyer, pour l’utilisation de synthétiseurs vidéo.

Nathalie Bujold (née en 1964), Pixels, petits points et monument, 2023, vidéo projetée sur la façade du pavillon Michal et Renata Hornstein du MBAM, projection architecturale, 5 min 5 s (en boucle). Avec l’aimable concours de l’artiste et de la galerie ELLEPHANT, Montréal. Photo MBAM, Denis Farley

Le résultat est absolument magnifique. Vous avez mentionné plus tôt que Pixels, petits points et monument entrait en dialogue avec des tableaux de notre collection, mais aussi avec des œuvres présentées dans les expositions temporaires qui sont à l’affiche au Musée cet automne, notamment Marisol : une rétrospective et Françoise Sullivan : « Je laissais les rythmes affluer ». Ce n’est pas la première fois que votre travail en vidéo emprunte à d’autres moyens d’expression, comme la peinture, le tricot, l’art textile… D’où vous vient cet intérêt pour le croisement de différentes formes d’art?

Oui, tout ça concorde merveilleusement bien! J’ai probablement ce désir de fusionner les arts parce que je ne viens pas directement du monde des arts visuels, mais de celui de la musique. Et la vidéo, pour moi, c’est le moyen d’expression absolu, parce qu’on peut y combiner tous les arts : ça peut être de la littérature, de la musique, de la peinture qu’on essaie de mettre en mouvement aussi… Le fait de travailler avec une forme d’art qui se déploie dans la durée m’intéresse également. Et puis, ce « médium »-là était relativement nouveau quand j’ai commencé, il n’était pas encore accessible pour les artistes qui travaillaient de façon individuelle, comme on le fait dans une pratique d’atelier… Mais, un peu après, j’ai eu la chance d’être là au moment où la vidéo s’est démocratisée, où les outils sont devenus plus abordables et où j’ai pu travailler de manière autonome. C’est donc un concours de circonstances propre à cette époque qui a fait en sorte que j’ai choisi la vidéo.

Même si l’œuvre que vous avez réalisée pour la façade du MBAM ne comporte pas de musique à proprement parler, elle semble dotée d’un rythme, d’une certaine musicalité. En aviez-vous conscience au cours du processus de création?

Oui, mais je ne me suis pas permis de faire le montage avec une musique. J’aurais aussi pu utiliser une trame sonore que j’aurais « injectée » au synthétiseur et qui aurait produit des images. Mais j’ai conçu cette œuvre en pensant strictement aux gens qui allaient passer devant et qui allaient progresser au rythme d’une séquence. J’ai pensé au temps de passage urbain plutôt qu’à une trame évolutive avec un début et une fin, parce que je savais que c’était une œuvre pour les passants et les passantes, à découvrir à tout moment… Alors, j’ai choisi de travailler avec de petits fragments de cinq secondes échelonnés sur cinq minutes. Ça donne une soixantaine de plans, à peu près. Je n’ai pas utilisé de son pour réaliser ce montage, mais, une fois que je l’ai terminé, je l’ai testé avec différentes musiques pour voir s’il provoquait l’espèce d’envolée lyrique recherchée.

Nathalie Bujold (née en 1964), Pixels, petits points et monument, 2023, vidéo projetée sur la façade du pavillon Michal et Renata Hornstein du MBAM, projection architecturale, 5 min 5 s (en boucle). Avec l’aimable concours de l’artiste et de la galerie ELLEPHANT, Montréal. Photo MBAM, Denis Farley

Normalement, c’est la musique qui sert de base aux images ou au montage... alors, si, à l’inverse, c’est réussi – tant mieux! Pour rendre le mouvement d’ensemble plus cohérent, plus structuré, j’ai tenté de resserrer au montage, en modifiant parfois la vitesse, la direction ou la durée des fondus enchaînés entre les plans. J’ai essayé autant que possible d’aller chercher la « séquence naturelle » de chaque plan, de laisser au mouvement son envolée vers son moment pivot pour qu’il puisse ensuite se redéposer sur l’autre plan, comme dans une chorégraphie.

Je suis heureuse que vous parliez de chorégraphie, parce que votre œuvre évoque la danse.

L’idée première, c’était de voir des peintures s’animer, comme si les courbes, les lignes et les couleurs pouvaient commencer à former autre chose… comme une danse!

Souvent, dans votre travail, et c’est le cas ici, il y a une sorte de conversation entre l’art et l’artisanat, la culture savante et la culture populaire. Pouvez-vous nous en dire plus sur les références culturelles qui parsèment votre œuvre?

Je viens de la Gaspésie, un endroit où les musées et les galeries étaient rares. Quand j’étais jeune, je n’avais donc pas accès à l’art de cette façon-là. Mais j’ai grandi au contact des travaux d’artisanat que ma mère réalisait avec les voisines, les tantes… Le textile, c’est quelque chose d’important dans ma famille. Ma grand-mère était modiste, et j’ai même une tante qui a animé une émission de couture à la télévision! J’ai donc été sensibilisée à autre chose que l’art, à ce qui était en périphérie, si on veut, et ça fait aujourd’hui partie de mon travail. J’essaie de toucher en même temps les gens qui ne connaissent pas nécessairement l’art et ceux qui le connaissent bien.

Nathalie Bujold (née en 1964), Pixels, petits points et monument, 2023, vidéo projetée sur la façade du pavillon Michal et Renata Hornstein du MBAM, projection architecturale, 5 min 5 s (en boucle). Avec l’aimable concours de l’artiste et de la galerie ELLEPHANT, Montréal. Photo MBAM, Denis Farley

Qu’est-ce que ça signifie pour vous de pouvoir présenter votre travail sur la façade du Musée?

Je viens d’une pratique d’atelier, de quelque chose de plus intime, de plus artisanal, donc c’est sûr que, pour moi, c’est énorme. Et, en même temps, c’est une grande responsabilité. Je pense que c’est la plus grande vitrine que je n’ai jamais eue pour présenter mon travail, et je trouve formidable que vous puissiez justement offrir cette vitrine-là à des artistes en art vidéo, parce que le public n’est pas toujours familier avec cette discipline.

Qu’aimeriez-vous qu’on ressente en voyant votre œuvre?

Ce que j’aime bien ressentir moi-même devant une œuvre – un élément de surprise, puis le goût d’en savoir plus, le désir de créer. Quand on me dit : « Ah! Ça m’a donné envie de faire des choses! », je me dis que c’est mission accomplie. Ce serait formidable si les gens pouvaient ressortir de l’expérience avec une curiosité pour l’art vidéo, pourquoi pas?

Nathalie Bujold : Pixels, petits points et monument
11 septembre 2023 – 31 mars 2024

Un projet réalisé grâce au soutien financier du Fonds de maintien des actifs stratégiques en tourisme (FMAST) de Tourisme Montréal, avec la participation financière du gouvernement du Québec.

Nathalie Bujold remercie Scott McGovern, Ed Video, le Conseil des arts et des lettres du Québec, le Conseil des arts du Canada, ainsi que Patrice Fortier, Michel Langevin, Elia Morrison, Emma Ongman et Christine Redfern.

Une touche de culture dans votre boîte courriel
Abonnez-vous à l'infolettre du Musée

Inscription à l'infolettre de la Salle Bourgie