Originaire de Cape Dorset, Shuvinai Ashoona a passé sa vie dans des communautés inuites. Elle est la fille du célèbre sculpteur Kiugak Ashoona (1933-2014) et de l’artiste Sorosiluto Ashoona (1941-2011), et la petite-fille de Pitseolak Ashoona (1904-1983), la plus célèbre de la première génération de femmes graphistes de Cape Dorset.
Réalisés dans les années 1990, les premiers dessins de l’artiste représentent surtout des paysages à l’encre empreints d’une grande délicatesse. À la fin de la décennie, ils se transforment toutefois en formations rocheuses imaginaires, sombres et oppressantes. Comme en témoigne ce dessin, le paysage, réel ou imaginaire, occupe toujours une place importante dans le répertoire de Shuvinai. Répertoire qui, aujourd’hui, est aussi éclectique qu’extravagant. On y retrouve des hybrides mi-pieuvre, mi-humain et autres créatures monstrueuses; des œufs, des pierres ovales et des planètes imaginaires miniatures; et une vaste gamme d’autres inventions allant de l’onirique et du ludique au cauchemardesque et au grotesque. L’imagination de Shuvinai est incroyablement fertile, résolument fantasmagorique et souvent macabre.
On ne saurait blâmer les spectateurs de prêter au titre de Mère heureuse un sens sardonique plutôt que littéral, la scène étant pour le moins inquiétante. Empreinte d’angoisse voire d’horreur, la scène semble surgir d’un état modifié de conscience, rappelant à cet égard l’art surréaliste ou l’art brut. Les références inuites sont moins évidentes. Le corps hybride de la femme fait peut-être allusion à l’iconographie inuite de la transformation et la créature aux allures d’oiseau pourrait représenter un esprit auxiliaire, ou encore le père ou une sage-femme ? Le caractère fascinant et ambigu des compositions de Shuvinai l’a propulsé au premier rang d’une nouvelle école d’art graphique inuit qui plaît tant aux collectionneurs qu’aux conservateurs d’art contemporain.