Skip to contentSkip to navigation
7 novembre 2023

Une œuvre exceptionnelle de John Lyman, signe de sa contribution précoce à la modernité

John Lyman (1886-1967), Le hamac sous l’arbre (Dalesville, Québec), 1912, huile sur toile, 61,7 x 76,6 cm. MBAM, achat, fonds de la Campagne du Musée 1998-2002, succession Denise Meloche, fonds Madeleine Bélanger et fonds Peter Herrndorf. Photo MBAM, Jean-François Brière

Lors de votre prochaine visite du pavillon d’art québécois et canadien Claire et Marc Bourgie, vous pourrez admirer une œuvre de John Lyman récemment acquise par le Musée, Le hamac sous l’arbre (Dalesville, Québec). Sous le couvert d’un sujet qui peut sembler, a priori, pittoresque et traditionnel, cette œuvre emblématique de la modernité artistique au Québec et au Canada se démarque par son traitement pictural inspiré du fauvisme et par la controverse qui a suivi sa première présentation, en 1913.

Jacques Des Rochers. Photo Vincent Lafrance

Jacques Des Rochers

Conservateur principal de l’art québécois et canadien

Issu d’une famille bourgeoise, Lyman s’intéresse tôt à l’art par le concours de certains de ses proches. Cousin de F. Cleveland Morgan, il gravite autour de l’Art Association of Montreal (AAM), aujourd’hui le Musée des beaux-arts de Montréal. En 1906, la visite de l’exposition Some French Impressionists, organisée par la galerie Durand-Ruel de Paris et présentée à l’AAM, l’incite à devenir peintre. Il entreprend sa formation à Paris en 1907, puis revient à Montréal en 1910. Dépité par la critique de ses œuvres après sa première exposition individuelle à l’AAM en 1913, il quitte le Québec pour n’y revenir qu’en 1931, alors que le milieu est plus favorable à l’art moderne. À partir de 1936, il est critique d’art pour The Montrealer et marque la scène montréalaise par la lucidité avec laquelle il défend l’art de son temps. Il est ensuite fondateur de la Société d’art contemporain de Montréal (1939-1948), qui a été évoquée dans un article précédent du Webzine M.

Le hamac sous l’arbre (Dalesville, Québec) a été peint en 1912 à Dalesville, dans les Laurentides. Dans ce tableau, une figure de femme assise dans un hamac, qu’un aplat de rose distingue, appelle le regard et sert de point focal dans une composition rythmée, tout en ondulations ou en rayons autour d’elle, avec de longs traits verts, ocres, jaunes, gris et bleus pour l’herbe, les bâtiments et le ciel. Ces coups de pinceau sont rendus plus visibles par les réserves1 de la toile entre eux. Les petits traits du feuillage et du tronc de l’arbre encadrent la scène dans une même animation et justifient une zone d’ombre qui fait tache dans ce tableau lumineux, contribution précoce de Lyman à l’affirmation de la modernité dans une société alors essentiellement conservatrice.

L’artiste présente ce tableau inédit en 1913, lors de sa première exposition individuelle à l’AAM. Celle-ci réunit plus d’une trentaine de ses peintures et dessins. Dans la plaquette du catalogue de l’exposition, Corinne Saint-Pierre, l’épouse de l’artiste, écrit en avant-propos : « L’art n’est pas le récit de ce qu’on voit, mais de ce qu’on pense de ce qu’on voit; ce qui le détermine, c’est ce qui se pose entre l’expression et l’objet inspirateur : l’imagination, l’intelligence organisatrice, enfin la personnalité. »

De cet événement phare de la modernité, seules deux autres petites huiles sont connues, conservées au Musée national des beaux-arts du Québec, en plus de la pochade de notre œuvre, aujourd’hui dans la collection de l’Art Gallery of Hamilton. Après avoir été l’élève d’Henri Matisse en 1910, Lyman montre au public montréalais une production qui en choque plusieurs et qui génère la plus grande controverse de l’histoire de l’art relatée dans la presse locale. L’artiste considère alors son exposition comme un échec et s’expatrie en Europe pour ne revenir définitivement au Québec que près de vingt ans plus tard.

Crédit
Crédit
Crédit

En 1913, j’avais eu ma première exposition au Canada. Exposition qui a soulevé des critiques d’une sauvagerie inouïe et qui m’a chassé du pays. Je pense que si j’avais joui d’une perception différente, je serais resté au Canada.

– John Lyman, 22 août 1958

Le tableau est exposé à nouveau en 1947 à la Galerie Dominion, et le critique Paul Duval écrit alors : « La contribution de John Lyman à l’art canadien est méconnue presque partout au pays, du moins à l’extérieur du Québec. Son rôle en tant que pionnier du modernisme l’est encore plus2. » Sous l’image de l’œuvre, illustrée dans son article, le critique ajoute : « En 1912, alors que la plupart des artistes canadiens peignaient avec des couleurs ternes, Lyman réalisait cette dynamique et brillante étude de paysage3. » L’année suivante, l’œuvre circule à travers le Canada, dans le cadre de l’exposition-bénéfice Canadian Appeal for Children. Publiée sous le titre descriptif Hammock Under Tree (Rural) [Hamac sous un arbre (rural)], une référence plus évocatrice permet d’associer le tableau à Rural Sensation [Sensation rurale] (cat. 35) dans la plaquette du catalogue de l’exposition de 1913.

Crédit

En 1948, Lyman expose aussi plusieurs œuvres au 65e Salon du printemps de l’AAM, où celle-ci achète sa première œuvre de l’artiste, Rose. Le choix de l’association s’est porté sur un tableau plus récent mais plus conservateur, malgré l’effervescence qui caractérise la nouvelle période de l’histoire de l’art qui s’ouvre avec la parution, cette même année, du Refus global. Hammock Under Tree (Rural) [Hamac sous un arbre (rural)] sera à nouveau présenté au MBAM lors d’une rétrospective de Lyman en 1963, sa seule sortie de la collection privée qui le conservera jusqu’à ce que nous en proposions l’achat en 2022.

Crédit

Le Musée possédait déjà un riche corpus d’œuvres de l’artiste et le plus important fonds de ses dessins préparatoires au pays. Cependant, cette nouvelle acquisition vient renforcer la présence, dans nos collections, des témoignages sur les débuts de la modernité au Québec.

Le hamac sous l’arbre (Dalesville, Québec) est actuellement exposé au niveau 2 du pavillon Claire et Marc Bourgie, consacré à l’époque des salons.

1 On nomme « réserves » les parties de la composition qui n’ont pas été recouvertes de matière picturale et qui laissent donc voir la toile brute.

2 Paul Duval, « John Lyman Helps Younger Artists to Experiment », Saturday Night, 2 août 1947. [Trad. libre]

3 Ibid.

Une touche de culture dans votre boîte courriel
Abonnez-vous à l'infolettre du Musée

Inscription à l'infolettre de la Salle Bourgie