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7 février 2022

Une théière d’exception, à la croisée des cultures inuit et européennes

Michael Massie (né en 1962), théière Chicoutés, airelles et thé, 2021, argent, palissandre d’Inde, 23,5 x 22 x 10 cm. MBAM, achat, fonds de la famille T. R. Meighen. Photo MBAM, Jean-François Brière

Le Musée vient de faire l’acquisition de la toute dernière théière de l’artiste terre-neuvien Michael Massie, intitulée Chicoutés, airelles et thé. Véritable tour de force d’inventivité et de virtuosité, cette théière est la 101e produite par le sculpteur et orfèvre réputé depuis qu’il a commencé à s’intéresser à cette forme, il y a un peu plus de trente ans.

Jennifer Laurent. Photo Jean-François Brière

Jennifer Laurent

Conservatrice des arts décoratifs modernes et contemporains

Vraiment, tout ce que je veux faire, c’est d’exprimer ce que je vois. Si ça donne l’impression d’être Inuit, ça va; si ça donne l’impression d’être contemporain, [ça] va aussi. Je pense que j’ai souvent tendance à les mettre ensemble pour voir ce que ça va donner1.
– Michael Massie

Né en 1962 à Happy Valley – Goose Bay, au Labrador, Michael Massie est reconnu pour ses merveilleuses théières en argent, dont les formes fantaisistes et les motifs élaborés composent une mythologie toute personnelle inspirée de la culture inuit traditionnelle et de l’histoire de l’art européen. Dans son travail, Massie explore les multiples facettes de son héritage – inuit (Nunatsiavut), métis et écossais. Un regard attentif posé sur Chicoutés, airelles et thé révèle d’ailleurs un enchevêtrement complexe de références.

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La forme rappelle immédiatement celle du ulu, couteau à la lame incurvée qui occupe une place centrale dans le mode de vie traditionnel des Inuit. Ceux-ci l’utilisent pour couper la viande, fileter le poisson et nettoyer les peaux. L’artiste y revient fréquemment, non seulement parce qu’il s’agit d’un outil important dans la culture inuit, mais aussi pour souligner le rôle social du ulu en même temps que celui de la théière. Ces deux objets fonctionnels issus de la culture matérielle rassemblent les membres de différentes communautés.

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Pour concevoir cette théière, Massie s’est également inspiré d’un vase aperçu dans Still Life (1891), une peinture dans le style de Gauguin qui fait partie de la collection permanente du Metropolitan Museum of Art. « C’est la forme du vase qui a attiré mon attention. Je pouvais jouer avec les lignes, et la forme, aussi, qui ressemblait à un ulu… J’ai prolongé les côtés du vase pour qu’ils se fondent avec le bec et la poignée… Comme ça, la théière a l’air d’un personnage, et plus encore avec les pattes2. » Massie s’efforce de donner des formes nouvelles et un aspect animé inattendu à ses théières, qui comportent souvent des caractéristiques zoomorphiques. Les pattes sont un trait distinctif de plusieurs de ses créations, et l’artiste a déjà confié à ce sujet qu’il avait « vite compris qu’une bonne théière devait sembler prête à prendre vie et à marcher3 ».

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L’exploration qu’il fait de la forme, Massie l’applique également à la décoration, comme en témoignent les surfaces en argent presque mouvantes de l’objet. Puisque l’effet réfléchissant produit par l’argent poli lui déplaît – selon lui, les théières qui sont polies comme des miroirs « absorbent leur environnement et nient leur propre silhouette4 » –, Massie grave à l’acide, sur la surface de ses œuvres, des motifs complexes qui préservent la mémoire de ses histoires personnelles et culturelles. Sur Chicoutés, airelles et thé, les motifs floraux exubérants sont inspirés de souvenirs d’enfance liés à la cueillette des petits fruits avec sa famille, au Labrador, dans les années 1960 :

Je me souviens que mes parents, mon frère, ma sœur, ma tante et mes oncles, mes cousins aussi, passaient souvent la fin de semaine à Northwest Point pour y cueillir des baies quand c’était la saison… J’ai choisi deux fruits pour cette théière, la chicouté et l’airelle, qui me rappellent ma mère et mon père. Ils adoraient la cueillette, et c’est à Northwest Point qu’on récoltait l’airelle. Pour la chicouté, maman et papa se rendaient jusqu’à la côte sud du Labrador pour faire leurs provisions… C’était il y a longtemps, mais je m’en souviens comme si c’était hier5.

Amalgame poétique de souvenirs d’enfance, de culture inuit traditionnelle et d’histoire de l’art européen, Chicoutés, airelles et thé offre un très bel exemple de la façon dont Massie entrelace les multiples aspects de son identité pour créer des œuvres exceptionnelles qui reflètent toute l’étendue et la richesse de l’expérience canadienne.

Deux fois finaliste pour le prestigieux prix Saidye-Bronfman, Michael Massie a été élu membre de l’Académie royale des arts du Canada en 2011 et a reçu l’Ordre du Canada en 2017.


1 Michael Massie, 1996, site web du Musée des beaux-arts du Canada, https://www.beaux-arts.ca/collection/artiste/michael-massie.

2 Michael Massie, cité dans un texte de la galerie Feheley Fine Arts sur la théière Chicoutés, airelles et thé, 2021. [Trad. libre]

3 Gloria Hickey, Silver and Stone: The Art of Michael Massie, cat. exp., Saint-Jean (T.-N.-L.), The Rooms Provincial Art Gallery, 2006. [Trad. libre]

4 Ibid. [Trad. libre]

5 Michael Massie, cité dans un texte de la galerie Feheley Fine Arts sur la théière Chicoutés, airelles et thé, 2021. [Trad. libre]

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