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根付 Les netsuke au bout des doigts

Aile Stéphan Crétier et Stéphany Maillery
Arts du Tout-Monde

Les netsuke étaient à l’origine des accessoires de mode masculine au Japon durant l’époque Edo (1615-1868). Ces sculptures miniatures servaient de boutons pour suspendre de petits sacs à la ceinture du kimono de leur propriétaire. Décorés avec finesse et fabriqués avec des matériaux d’importation coûteux comme l’ivoire, les netsuke n’étaient pas que des objets pratiques, mais aussi des symboles culturels. Ils étaient convoités par les collectionneurs occidentaux, particulièrement au XIXe siècle, en raison de leur petite taille, de la richesse de leurs matériaux et de leur complexité artistique.

Sommaire

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Ce sont des netsuke (根付), de charmantes petites sculptures qui servaient d’attaches ornementales luxueuses, portées par les hommes fortunés au Japon durant l’époque Edo (1615-1868).

Les netsuke sont devenus très en vogue au XVIIIe siècle, lorsque les chōnin (町人), ou citadins, de la classe moyenne mercantile les ont adoptés comme accessoires de mode.

Ce netsuke représentant l’ermite Tōbōsaku (東方朔) vous montre la façon dont on portait les netsuke à cette époque. Tournez-le et remarquez comment le petit sac est accroché à sa ceinture, appelée obi (帯).

L’habillement japonais traditionnel étant dépourvu de poches, les hommes transportaient leurs effets dans un sagemono (提げ物), qui signifie « chose suspendue », accroché à l’obi de leur kimono à l’aide d’un netsuke qui faisait office de bouton.

En zoomant, vous verrez un type particulier de sagemono attaché à l’obi de Tōbōsaku : utilisée pour transporter du tabac, cette petite pochette s’appelle dōran (胴乱).

Comme les netsuke, les pochettes à tabac dōran étaient à la fois fonctionnelles et ornementales. Regardez attentivement la richesse des motifs de la sculpture sur bois et de la laque sur celle-ci, qui date du XIXe siècle.

Si le netsuke servait à attacher différents types de sac, il était le plus souvent assorti d’un inrō (印籠), littéralement « panier de sceaux ». L’inrō était traditionnellement utilisé par les hommes aisés pour transporter leurs sceaux et leur cire à cacheter.

Symboles de statut social, d’autorité et d’érudition, les sceaux avaient une grande importance au Japon. Ils remplaçaient les signatures dans les documents juridiques et les gens de lettres s’en servaient pour signer leurs œuvres.

Les netsuke accompagnaient souvent les inrō et avaient parfois eux-mêmes la forme d’un sceau. La poignée de ce netsuke à sceau est en forme de pigeon, gardien sacré des sanctuaires shintoïstes.

Si vous retournez ce netsuke, vous trouverez le sceau personnel du propriétaire. Sur la partie supérieure, on peut lire : kisai-an (喜霽庵), ce qui signifie « atelier de joie après la pluie », une évocation poétique du sentiment de sérénité spirituelle suivant l’averse.

Sur la partie inférieure, on peut lire shien (紫莚), « tapis tissé de couleur pourpre », ce qui laisse penser que ce netsuke a appartenu à un noble. Si vous observez attentivement l’inscription, vous remarquerez des traces de cire à cacheter rouge datant de sa dernière utilisation.

Les inrō ne servaient pas qu’à transporter des sceaux ; ces accessoires de mode permettaient également de porter d’autres petites choses, comme des médicaments. Cette estampe d’Utagawa Toyokuni II, qui représente un acteur portant un inrō, fait foi de leur usage répandu.

Les hommes japonais combinaient inrō, netsuke et ojime (緒締) – de petites perles – pour afficher leurs styles et leurs goûts personnels. Les combinaisons originales pouvaient être facilement actualisées en fonction des tendances et des préférences de chacun.

Pour répondre aux goûts et préférences de leurs propriétaires, les netsuke ont pris toutes sortes de formes : animaux, aliments, plantes, cartes géographiques et sujets mythologiques.

De nombreux netsuke sont ornés d’éléments traditionnels de l’iconographie japonaise, comme cette charmante représentation du chidori (千鳥), un pluvier. Symbole de longévité et de persévérance, le chidori est très répandu dans l’art japonais.

Oiseaux migrateurs se déplaçant en volée, les chidori symbolisent, en plus de la longévité et de la persévérance, la parenté et la résilience. Vous remarquerez sur la boîte à thé laquée, exposée tout près, qu’ils étaient plus souvent représentés de manière abstraite à partir de l’époque Edo.

Les netsuke renvoient parfois à des récits mythologiques. Ici, vous voyez le moment culminant de la légende d’Oniwaka, lorsque ce dernier plante son couteau dans la branchie de la carpe géante qui a tué sa mère.

Les styles des netsuke sont très variés. Celui qui représente Oniwaka est un exemple de netsuke de style manju (饅頭), caractérisé par une forme plate et une sculpture en bas-relief. Son aspect lisse avait un but pratique : il ne s’accrochait ni se prenait dans le kimono de son propriétaire.

Les netsuke sont parfois de type katabori (形彫), c’est-à-dire « en ronde-bosse ». Ce netsuke katabori représente Hotei, l’un des sept dieux de la chance, représenté en train de manipuler une marionnette pour amuser un enfant.

Un netsuke katabori aussi complexe avait plus d’une fonction. Il est probable qu’il ait servi d’objet plutôt que d’accessoire de mode, ce qui indique que la popularité du netsuke tenait davantage aux goûts des collectionneurs qu’à leur utilité.

Le format miniature des netsuke constituait un défi créatif unique pour les artistes. Regardez la quantité de textures que l’artiste a réussi à réaliser sur la surface de ce minuscule netsuke, d’à peine 4,3 cm de haut, représentant un karako (唐子), ou un enfant, sur un buffle d’Asie.

Observez attentivement le rendu très naturaliste du pelage du buffle, réalisé par l’artiste Anrakusai (安楽齋) au moyen d’une technique populaire consistant à appliquer une teinture foncée sur la surface gravée.

Au XVIIIe siècle, les artistes ont commencé à signer les netsuke qu’ils créaient, preuve que ces objets marquaient le statut culturel de leur propriétaire. Voyez-vous la signature de l’artiste sur ce netsuke d’un singe mastiquant une pousse de bambou ? Son nom figure sur la base : Rantei (蘭亭).

Plus de 2 700 créateurs de netsuke ont été identifiés, dont certains ont acquis une grande renommée, notamment auprès des collectionneurs d’art. Ce netsuke a été sculpté par le célèbre artiste Ohara Mitsuhiro (大原光廣) d’Osaka.

Retournez ce netsuke pour voir la signature d'Ohara Mitsuhiro au dos du dieu Hotei. Mitsuhiro était un célèbre sculpteur de netsuke d’Osaka, un important centre de production de ces petites sculptures avec Tokyo et Kyoto.

Ohara Mitsuhiro est reconnu pour ses sculptures de légumes, de personnages et d’animaux finement détaillées, comme en témoigne ce netsuke en forme de sceau présentant un pigeon sur une poignée.

Les artistes concevaient les netsuke avec divers matériaux, les plus courants étant l’ivoire et le buis. Le rat mangeant une noix que vous voyez ici a été sculpté en ivoire, un matériau de luxe, ce qui indique que son propriétaire faisait partie de l’élite culturelle.

Si le type d’ivoire le plus prisé était celui de l’éléphant, on utilisait aussi celui d’autres animaux. Par exemple, ce netsuke représentant un singe tenant du bambou est fait d’ivoire marin, sans doute issu d’une défense de morse.

Parfois, plusieurs matériaux étaient utilisés pour créer un même netsuke, notamment pour les netsuke en forme d’animaux : les yeux étaient souvent faits d’écaille de tortue, d’ivoire de calao, de coquillage, de métal ou de laque.

Ce netsuke d’un lièvre avec des nèfles est fait d’ivoire sculpté et de pierres noires incrustées pour les yeux. Observez comment le noir brillant de la pierre contraste avec le blanc mat de l’ivoire, teintant l’objet de naturalisme et d’animéité.

Même si l’ivoire était un matériau populaire pour la fabrication de netsuke, on ne le retrouve pas fréquemment dans l’art japonais. Il a été importé pour la première fois au XVIIe siècle de la Chine, où la tradition de la sculpture de l’ivoire était plus ancienne.

Les consommateurs occidentaux se sont intéressés aux ivoires religieux du sud de la Chine à partir du XVIe siècle. L’ivoire était également recherché par les lettrés chinois, qui l’utilisaient pour fabriquer des objets de luxe, comme cet accoudoir finement sculpté.

Les sculpteurs japonais de netsuke s’intéressaient aux matériaux provenant de la Chine, mais ils s’inspiraient aussi de l’imagerie de ses livres de dessins. Certains netsuke, comme celui-ci représentant un shishi (石獅), ou lion, avec un gong appelé mokugyo (木魚), reproduisent des sujets chinois populaires.

Le lion gardien connu sous le nom de shishi est un thème populaire dans l’art japonais, comme vous pouvez le voir sur ce kōgō, ou boîte à encens, de l’époque Edo. Pouvez-vous repérer d’autres exemples de shishi à proximité ?

Après l’ouverture des ports japonais au commerce extérieur en 1854, l’accès à la culture occidentale s’est accru. De nombreux hommes japonais ont remplacé le kimono traditionnel par des tenues européennes et les netsuke sont devenus moins utiles au quotidien.

L’évolution des échanges entre le Japon et l’Occident a également favorisé l’apparition d’un nouveau marché pour les netsuke. L’engouement des collectionneurs européens pour ces objets fascinants a créé une forte demande qui a soutenu la production de netsuke au Japon tout au long du XIXe siècle.

L’enthousiasme pour les netsuke a également été stimulé par le japonisme en Europe, un mouvement littéraire et artistique du XIXe siècle qui était profondément influencé par la culture japonaise.

La participation inaugurale du Japon à l’Exposition universelle de 1867, à Paris, a grandement contribué à cet intérêt généralisé pour l’art nippon. Cette photographie montre le pavillon japonais, où les consommateurs occidentaux pouvaient voir des objets d’art de ce pays.

L’accès aux estampes japonaises a donné aux peintres français, comme James Tissot, de nouvelles idées sur la manière de représenter le monde. Tissot était l’un des nombreux artistes modernes à collectionner les gravures sur bois japonaises que l’on appelait ukiyo-e.

Relevez les similitudes stylistiques entre Octobre de James Tissot et La courtisane Wakamurasaki allant à la maison de thé Miura-ya d’Utagawa Kunisada : la perspective peu profonde, les contours nets, la prédominance de l’imagerie naturelle.

Au-delà des influences esthétiques, certains artistes occidentaux se sont directement approprié des éléments de l’art japonais dans leurs créations, comme le céramiste Art nouveau Clément Massier, dont le grès émaillé présente une vue du mont Fuji.

Le mont Fuji était un thème populaire des estampes japonaises ukiyo-e. Vous pouvez voir ici qu’Utagawa Hiroshige a donné à la montagne emblématique une place prépondérante dans le paysage.

La petite taille et l’aspect tactile du netsuke attiraient les collectionneurs captivés par le japonisme, qui pouvaient ainsi tenir une parcelle du Japon au creux de leur main, un peu comme vous maintenant. À bien des égards, ces collectionneurs considéraient les netsuke comme des œuvres sculpturales miniatures plutôt que des objets utilitaires, ce qu’ils étaient à l’origine.

Contrairement aux statues européennes traditionnelles, les netsuke katabori sont sculptés en ronde-bosse, de haut en bas, comme vous pouvez le constater dans les détails complexes des tentacules et de la plante des pieds du pêcheur, sur la face antérieure de ce netsuke.

Les netsuke sculptés entièrement en ronde-bosse stimulent le sens du toucher et le réflexe de vouloir ressentir toutes les faces de ces minuscules figures. De nombreux netsuke portent les traces de leur manipulation.

Voyez-vous comme la patine (nare) est usée sur ce netsuke représentant un singe avec une calebasse ? C’est dû aux années d’utilisation et de manipulation par ses différents propriétaires.

Dans la vision occidentale du monde, l’expérience pratique est une composante essentielle de la connaissance scientifique et culturelle ; la possibilité de toucher et de ressentir de minuscules netsuke était un moyen pour les collectionneurs de découvrir intimement le Japon depuis leurs contrées lointaines.

Le propriétaire de ce netsuke représentant une carte du Japon pouvait, en quelque sorte, tenir la nation entière dans la paume de sa main.

Collectionner des œuvres d’art « exotiques » était un passe-temps répandu chez les riches Européens, qui, en amassant des objets du monde entier, affichaient leur statut social et leurs vastes connaissances à leur sujet.

Les netsuke, considérés comme des objets d’intérêt à valeur artistique, étaient particulièrement attrayants pour les collectionneurs étrangers. Leur petite taille les rendait faciles à exporter, même en grand nombre et, au XIXe siècle, ils étaient rarement vendus individuellement par les marchands, qui proposaient plutôt des collections. Vous voyez ici des œuvres de la célèbre collection de Louis Gonse, l’un des premiers experts européens de l’art japonais.

L’élite montréalaise a été, elle aussi, séduite par le japonisme. Sir William Van Horne, dont vous voyez ici la bibliothèque personnelle, comptait parmi les plus grands collectionneurs d’art japonais de la ville.

L’intérêt de Sir William Van Horne pour l’art asiatique a été suscité par les céramiques japonaises, considérées à l’époque comme très exotiques. Il connaissait ses objets de collection à tel point qu’il prétendait pouvoir reconnaître chacune de ses chaire, ou boîtes à thé, simplement au toucher.

La collection d’accessoires à thé de Sir William Van Horne est maintenant conservée au Musée des beaux-arts de Montréal, qui en expose une partie. Des collections comme la sienne, nées des goûts et des influences de leur époque, sont devenues des éléments fondamentaux des musées fondés au XIXe siècle.

L’engouement occidental pour les netsuke a été façonné par les mêmes forces historiques, les faisant passer d’un simple accessoire de mode à un objet de collection recherché.

1/5
Qu’est-ce que je vois ?
2/5
Pourquoi ces objets ont-ils cette apparence ?
3/5
Qui les fabriquait ?
4/5
De quel matériau sont-ils faits ?
5/5
Comment se sont-ils retrouvés ici ?

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